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Photo du rédacteurThierry NUSSBERGER

CLINIQUE DU DÉSESPOIR A L’ÈRE DES CATASTROPHES ANNONCÉES

« Quelle clinique aujourd'hui alors que depuis quarante ans le rapport de chaque sujet au monde a changé radicalement? Le système néo-libéral s'est substitué à l'ancien ordonnancement du monde, qui se repérait à partir de ce que Lacan a appelé la " métaphore paternelle. Deux modes de jouissance différents qui ne sont pas sans effets sur chaque être humain, mais aussi sur la planète. En quoi les évènements actuels, la pauvreté dans le monde, la souffrance au travail, l'invasion de L'Ukraine par Poutine en sont-ils la conséquence ? »




A l’ère des catastrophes annoncées, ce dont témoignent les personnes que nous voyons en consultation, ce sont les sentiments d’incertitude quant à l’avenir, de doute quant au sens de leur existence. En résulte un aquoibonisme latent et diffus qui envahit de plus en plus la plupart d’entre nous.


En effet que vaut une peine sans espoir ou récompense ? Un effort, un labeur qui ne porterait pas de fruit ? Que vaut la vie si elle peut être arbitrairement réduite au néant ? L’arrivée de la Covid est venue amplifier ce sentiment que tout effort pour rendre la vie meilleure pouvait s’avérer vain, que tout pouvait s’arrêter d’un coup par l’entremise d’un ennemi inconnu pouvant surgir à n’importe quel moment. Aujourd’hui un homme déclenche une guerre et menace le monde entier d’employer l’arme chimique ou nucléaire.

Bien plus tôt le terrorisme avait ébranlé l’apparente quiétude dans laquelle l’occident s’était habitué.

Avec la survenue de la Covid, la menace était à nos portes véhiculée par nos proches, ébranlant toutes nos structures. Aujourd’hui, la proximité de la guerre rend encore plus sensible la précarité de nos existences.

Les prémices du désespoir avec le développement du néolibéralisme


Depuis quelque quatre décennies, un système économique a pris son essor en transformant le monde d’une manière insidieuse. Il a imperceptiblement changé notre rapport au monde et à la société. Le néolibéralisme, véritable léviathan planétaire, a bouleversé nos modes de vie et nos sociétés de la manière la plus sournoise qui soit : en se faisant passer pour la panacée universelle à tout problème économique, prôné comme la véritable manière de concevoir les échanges entre les hommes. La théorie "trickle-down economics » de la redistribution des richesses justifiait le cumul des ressources par quelques-uns. Cette théorie fumeuse, mais auréolée de quelques atours pseudo-scientifiques s’illustrait à l’aide d’images propres à cette conception du monde. Les richesses devaient couler de haut en bas à la manière du champagne qu’on déverse sur une pyramide de coupe. Comme si la vertu des riches était la philanthropie et qu’ils ne leur viendraient pas à l’idée de mettre en place un barrage en haut de la première coupe ![1]

Le néo-libéralisme s’est imposé comme concept princeps de la réalité du monde. Les économistes s’auto-proclamaient visionnaires et prophètes, seuls capables d’avoir une conscience claire de la manière dont la relation entre les hommes devait s’établir, de ce qui régulait leurs échanges, leur vie et par extension leur bonheur sur cette terre.

Tout, absolument tout devait être contrôlé, chiffré, évalué, rentabilisé. L’avènement de cette pensée binaire a été porté par cet autre système binaire qui gagnait du terrain : l’informatique, l’outil qui ne (se) trompe pas, sauf défaillance humaine. Le rêve humain de l’infaillibilité pointait car le robot n’est pas victime de ses affects, de ses humeurs, d’une humanité bancale certes mais heureusement banquable .

Les effets dévastateurs de cette vision du monde, qualifiée de réaliste, se sont fait sentir peu à peu et d’une manière quasi-dramatique aujourd’hui. Pourtant dès sa mise en place dans les années quatre-vingt, tout ce qui était en germe dans ses fondements pouvait se présager. Il suffisait juste de bien vouloir se donner les moyens de les analyser. Malheureusement, nombreux sont ceux qui ont consenti à se laisser aveugler. Tous les domaines de l’entreprise en ont été affectés et malheureusement ce système s’est étendu aux institutions de santé et de soin qu’il fallait désormais gérer comme une entreprise. Des gestionnaires ont pris la direction des hôpitaux, maisons de retraite, instituts médicaux sociaux. Ces nouveaux directeurs ne cachaient pas leurs mépris vis a vis des soignants, emprunts selon eux d’idéalisme humaniste mais incapable de se coltiner à la réalité économique. Et pour confronter chacun au besoin impérieux de se soumettre à cette vérité du chiffre, à l’évaluation du travail on a commencé à compter le nombre de pas que faisait une aide-soignante dans son travail, comparant les résultats, mettant en compétition celles qui en faisait moins pour la même tâche, qui faisaient le plus d’actes en moins de temps. Les tâches administratives de contrôles ont commencé à s’imposer au détriment du temps consacré au soin.

Des protocoles se sont mis en place, des méthodes et pratiques ont été évaluées pour définir quelles étaient les bonnes ou les mauvaises selon le critère premier de rentabilité et de coût. Les psychothérapies n’ont évidemment pas échappé à cette vision du monde du travail. Le soin psychique devait donc lui aussi être évalué, passé au crible de la rentabilité économique et de l’efficacité telle que défini par les technocrates.


On ne reviendra pas sur la manipulation « communicationnelle » qui a servi à définir quelles étaient les bonnes et les mauvaises pratiques en psychothérapie mais le résultat a été de n’envisager l’être humain que sous son aspect fonctionnel. Un être à réparer ou à reconnecter avec son environnement et ceci sous les applaudissements d’un plus grand nombre et la contribution commerciale de nombreux psys.



Outre les offres de soins ce sont aussi les diagnostics qui ont été réévalués. Non pas pour les affiner, comme on pourrait le souhaiter, mais pour les faire correspondre aux nouvelles donnes économiques. C’est ainsi qu’avec l’appui de certains psychiatres consentants on a pu libérer des lits en hôpital psychiatrique grâce à quelques pirouettes sémantiques qui ont permis de basculer les prises en charge relevant de la psychiatrie en prise en charge relevant du secteur médico-social. Les psychotiques chroniques, les autistes, sont ainsi devenus des handicapés mentaux. Les hôpitaux proches de nos frontières recevaient ainsi des appels de la part de directeurs de centres médicaux sociaux pour savoir s’il n’y avait pas quelques enfants et adultes psychotiques ou autistes à leur refiler. Il s’agissait ainsi de remplir les instituts médico-sociaux frontaliers pour assurer leurs substantiels prix de journée. La personne handicapée devenait ainsi un objet monnayable.

C’est ainsi que le signifiant « handicap » a pris ses lettres de noblesse dans les milieux de la santé mentale et qu’il était de moins en moins convenable de parler de psychoses ou d’autisme en termes de structure psychique en prise directe avec la complexité d’être parlant, de leur souffrance de parlêtre. C’est en correspondance avec cette logique que Le DSM s’est imposé comme référent universel du système néolibéral de la prise en charge de la souffrance mentale. On éradiquait ainsi la subjectivité humaine pour n’avoir à traiter que les circuits défectueux de l’information neuronale. La souffrance psychique se voyait ainsi traitée sur le même mode que l’économique : remettre en place les circuits d’échanges, contrôler les flux, apaiser les tensions, faire circuler l’énergie, stimuler les zones d’informations et de cognition.


Cette politique du chiffre amène les hommes qui travaillent à vivre un non-sens de plus en plus affirmé dans leur tâche quotidienne, ce qu’a d’ailleurs fort bien démontrer le psychiatre et psychanalyste Christophe DEJOURS. Les conséquences du néolibéralisme sur la santé psychique des Français y sont remarquablement décrits et analysés . Malheureusement son livre « Souffrance en France – la banalisation de l’injustice sociale » écrit en 1998 reste toujours très actuel sans qu’aucun responsable politique n’aie vraiment tirer les leçons de ce prodigieux travail.





Perte de confiance et désespoir

Cette radicalité dans la manière d’aborder l’homme et son rapport au travail passant du fordisme au taylorisme, puis au néo libéralisme, a comme conséquence d’atteindre chacun dans son identité, son sentiment d’appartenance et dans le sens qu’a sa vie sur terre. Or ce qui permet d’élaborer un projet de vie est fonction de l'idéal dans lequel chacun se reconnaît et dans la foi qu’il place en ceux ou celles qui sont censés donner le cap. Que ce soit un patron, un directeur d’usine ou d’institution voire un président de la république celui qui dirige doit être porteur d’un idéal dans lequel chacun pourra se reconnaître. Aujourd’hui l’idéal d’une entreprise se mesure en terme de bénéfice et de valeur d’échange des actions au profit des actionnaires.

Pour répondre à ces impératifs économiques le salarié se sent dans l’obligation de renier le sens qu’il donne à son travail, d’abandonner ses exigences qualitatives pour se soumettre au dictat de la rentabilité et du profit. Là où le politique devait poursuivre ses objectifs de garantir le bien pour tous en soumettant l’économique à cet impératif moral, ce dernier est devenu au fil du temps le vassal des maîtres du Cac 40.

La confiance dans les politiques s’en est trouvée ébranlée concomitamment à la confiance au média d’information. De plus en plus perceptiblement se révélait un lien incestueux entre le politique, inféodé à l’économique, et la presse porte-voix du politique. Les conflits, les unions d'intérêt ou amoureuses entre journalistes et politiques ont peu à peu émoussé la confiance du peuple en ses élites. La foi en la parole de l’autre s’ébranlait. La méfiance, le doute la suspicion ont gangrené insidieusement notre rapport à toute autorité, qu’elle soit politique, scientifique ou religieuse.


Ne reste plus alors que des croyances parcellaires, multiples, propices à créer des communautarismes qui se revendiquent, comme l’avait noté Freud, du « narcissisme de la petite différence. »[2] Pas étonnant alors de trouver sur les banderoles des anti-masques cette citation d’Anna ARENDT en août 2020 à Paris :


« Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n’est pas que vous croyez ces mensonges mais que plus personne ne croit plus rien. Un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se faire une opinion. Il est privé non seulement de sa capacité d’agir mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et avec un tel peuple, vous pouvez faire ce que vous voulez. » [3]


Plus de 250 personnes assuraient haut et fort que le port du masque était « la porte d’entrée vers la dictature mondiale, le symbole liberticide, le signe de la tyrannie médicale, d’un État menteur et totalitaire, “collabo” qui tire les ficelles de la planète aux côtés des grandes entreprises pharmaceutiques. »


Citation brandit dans un contexte peu propice à la réflexion et qui interroge sur la dénonciation du mensonge qui y est fait, sur l’affirmation qu’il n’y a plus d’opinion, ni de liberté d’expression, alors même que les manifestants affichent et clâment haut et fort leur opinion. Alors qui croire ?

Foi et amour

La foi et l’amour se trouvent inexorablement liés. Il faut d’abord croire que l’autre nous veut du bien, sait ce qui est bon pour nous, afin que nous puissions lui accorder notre confiance. Mais il faut aussi que celui qui délivre un message ou un traitement soit convaincu que ce sur quoi il s’appuie est digne de confiance. Toute démarche thérapeutique qu’elle soit somatique ou psychique repose sur cette donnée subjective.


Or la base de toute démarche scientifique n’est pas la foi mais le doute qui incite à vérifier si un produit ou une méthode fonctionne par lui-même ou s’il est l’effet de « la foi qui sauve ».

Effet placebo si l'on croit au bienfait de ce que l’on nous propose, effet nocebo si l’on craint des effets secondaires néfastes.


« Dans le cadre de la biomédecine, la volonté de maîtrise du corps humain et la foi en l’action portée sur lui par différents procédés thérapeutiques doivent souder le corps médical, dans le sens de l’unifier, de faire en sorte qu’il ne fasse qu’un, d’avoir un accord de tous sur cette définition. Ce qui ne peut être expliqué, comme des améliorations suite à une thérapeutique jugée non efficace, est attribué au placebo et refoulé, afin de ne pas ébranler les fondements du paradigme biomédical, la lisibilité du corps humain et l’action sur lui qu’elle rend possible. [4]


Dans notre champ des psychothérapies tout un chacun, s’il s’en donne la peine, pourra se rendre compte que les protocoles de vérifications et les randomisations pour leur évaluation n'ont guère été appliqués sérieusement pour déterminer leur bénéfice ou leur effet délétère.


Crise de foi avec la Covid

Avec l’arrivée de la Covid sur la scène internationale la crise de foi se manifeste sur trois plans : scientifique, politique et médiatique.

La question de la vérité s’y trouve convoquée d’une manière encore plus exacerbée car la peur amplifie le besoin de croire en un sauveur, c’est-à-dire en une personne que l’on croit capable de nous sortir d’une mauvaise situation.


Pour assurer la vente d’un produit il suffit parfois de l’affubler du qualificatif de scientifique sans pour autant apporter plus de garanti.

Avec la Covid des professeurs, des prix nobels se sont affranchis de toute rigueur pour confirmer ou infirmer la validité d’un produit ou d’une méthode. Chacun défendant sa propre vérité, son propre point de vue comme ayant valeur universelle, faisant fi de toute démarche humble de vérification, de soumissions des travaux aux pairs tout en en respectant les protocoles admis par une communauté scientifique. Si cette dernière l’emporte sur l’allégation d’un seul c’est bien parce que cette communauté a trouvé un point d’accord ou de compromis pour édicter, non pas une vérité, mais un consensus scientifique. Les sauveurs quant à eux apparaissent en francs tireurs pour dénoncer toutes les compromissions et les mensonges des uns et des autres, tout en se présentant comme détenant la vérité. Ils s’appuient pour cela sur le manque de probité, avéré ou supposé, de ceux qui ont la charge de garantir le bien au sein de l'État.


Là encore chacun affirme détenir la Vérité, le Savoir. Cette position de « Détenteur du Chemin et de la Vérité » s’appuie sur l’affirmation que l’autre vous cache la vérité pour profiter de vous. La figure de l’Autre méchant, celui des mauvaises intentions, est brandie. La tactique qui consiste à démontrer les vicissitudes de l'Autre a pour effet d’en séduire quelques uns qui se rallie à cette logique. Cette figure de l’autre méchant fonctionne car elle fait appel aux premières rencontres avec l’autre comme étranger à soi-même, et donc inquiétante. C’est ce que Lacan repérait dans la constitution primitive du moi comme étant paranoïaque.[5]

Mais au plus profond ce que révèle la crise de la Covid se sont les effets ravageurs du néo libéralisme qui, se substituant à ce qui régulait les sociétés par l’entremise du Nom-du-Pére, a mis en place le chiffre comme point idéal de nos société. Là ou la fonction du Nom-du-Père limitait la jouissance, la fonction du chiffre comme valeur pose la jouissance des profits comme valeur universelle, profitant à quelques-uns au détriment de l’ensemble. Nos institutions sociales, éducatives, médicales, policières, qui n’assurent aucun profit se trouvent ainsi démunies, dépossédés des moyens pour bien travailler par l’économie que l’on fait des postes non pourvus ou par leur réduction.

Christophe DEJOURS soulignait la souffrance qu’il y a dans la contrainte qui est faite à mal travailler : “ être contraint de mal faire son travail, de le bâcler ou de tricher est une source majeure et extrêmement fréquente des souffrances dans le travail que l’on retrouve aussi bien dans l’industrie que dans les services ou dans les administrations”[6]


Ainsi là ou le politique est attendu pour garantir le bien dans la cité, le citoyen rencontre le servile défenseur des lois du profit. Le point idéal n’est plus l’humain.

La crise de la Covid est venu renforcé ce sentiment que l’état n'était plus le garant du bien, sa gestion parfois déplorable mettait en évidence l’effondrement programmé de l’hôpital public, amplifiant le manque de confiance. Pas étonnant qu’on ait cherché un appui dans les hommes de Sciences, cette dernière étant supposé dire le vrai par la garantie de sa démarche. Mais là encore ce postulat prenait un coup dans l’aile, car au nom des profits, les protocoles pouvant assurés une certaines garantie n’étaient pas respecté. Alors qui croire ? Vers qui se tourner pour apaiser l’angoisse ? Sinon vers les divers prophètes en blouse blanche qui affirment détenir une vérité labellisée scientifique et qui s’appuient sur la crédulité de ceux qui attendent un sauveur.


Crise de foi entre les peuples

Aujourd’hui, il faut aussi prendre en compte la question des croyances et des valeurs en jeu dans tous les affrontements actuels. Le bloc russe face à l’occident révèle deux conceptions du monde qui s’opposent et ne se rencontrent pas. Le président autocrate Poutine est le représentant type de cette croyance en une intégrité de la Russie qui ne peut être soutenue que par l’incarnation d’une position virile exempte de tout sentiment associé à une faiblesse proprement féminine. Cette faiblesse, Poutine la décèle dans la démocratie dont il en perçoit les effets par ce qu’il nomme la décadence de l’Occident. Un état fort selon Poutine est un état viril, hiérarchisé. A cette verticalité de la gouvernance, il oppose l’horizontalité des démocraties. Cette vision dévirilisée de la démocratie face à une position plus autoritaire se retrouve en politique française dans l’opposition droite gauche. Dans les représentations être à la droite s’associe au père et être à gauche, étymologiquement, sinistre, se situe plus sur le versant féminin. Comme dit plus haut, le viril ne s’encombre pas de sentiment qui pourrait nuire à la bonne décision, les émotions étant considérées de tout temps comme opposées à la raison et nuisibles – idées que l’on retrouve d’ailleurs dans certaines psychothérapies. La gauche est toujours décriée par les représentants virils de nos sociétés en se moquant de ses qualités plus relationnelles et sociales, par l’attention aux plus faibles dont ne s’encombrent pas les gens d’une certaine droite. L’idée étant que si l’on est faible et démuni, c’est qu’on l’a bien cherché, on récolte ce que l’on a semé. Vision cigale et la fourmi de la fable, vision aussi très américaine qui affirme que « tout est possible à celui qui croit » sous-entendu que si ce n’est pas le cas c’est par manque de foi et de courage.


En politique, la surreprésentation des mâles, à la virilité et au sexisme revendiqué, favorise cette représentation de l’état et de ses institutions sur ce mode hiérarchique et paternaliste. Le père ici est plus celui de totem et tabou que le père dans sa fonction symbolique. Cette représentation empoisonne autant le psychisme des hommes que des femmes. Il y a eu aussi cette gauche plus bobo que socialiste, qui donnait une image de laxisme et d’ignorance face aux problèmes de vie quotidienne des citoyens moins fortunés. C’est par cette gauche là que le peuple ordinaire s’est senti lâché et mieux compris par une extrême droite plus encline à remettre de l’ordre.


La droite et la gauche incarnaient au plan imaginaire les deux dimensions de la jouissance, l’une phallique, l’autre féminine. Aujourd’hui Poutine incarne pleinement la dimension quasiment virile de la jouissance masculine. Ainsi se présente et s’oppose deux représentations de la jouissance phallique et de la jouissance féminine. Toutes deux inconciliables et étant sans aucun rapport logique, faisant écho à l’aphorisme de LACAN : « il n’y a pas de rapport sexuel. »

Peut-on concevoir une autre manière de prendre en compte ces deux visages de la jouissance qui ferait que, dans sa dimension phallique assumée par la fonction ou métaphore paternelle, cette dernière soit expurgée de sa dimension imaginaire virile ? En effet, s’il est un fait que l’homme s’est toujours placé comme le représentant privilégié de la jouissance phallique, il a malheureusement affublé celle-ci d’une dimension virile, confondant le masculin avec la baudruche virile. La virilité est autant une mascarade du masculin que le maquillage et les talons aiguille sont une mascarade du féminin.

Cette dimension phallique est nécessaire, car la jouissance féminine à elle seule n’assure pas l’organisation du monde. Ce n’est donc ni la jouissance féminine qui est l’avenir de l’humanité, ni la jouissance phallique en tant qu’assurant les bords et limites par la logique de la castration, mais la prise en compte de l’inconciliable entre les deux jouissances, de leur non-rapport logique et de leur nécessaire traitement.




Restaurer le père viril

Poutine veut montrer qu’il est fort et que le peuple russe est fort au point de mourir pour sa patrie. Le philosophe Michel ELTCHANINOFF auteur de l’essai « dans la tête de POUTINE » chez Acte Sud indique que le rapport à la guerre est ce qui sépare l’homme occidental des Russes. Le russe pense d’abord à sa patrie et est prêt à mourir pour elle, ce que l’homme occidental ne peut faire, trop préoccupé de sa réussite personnelle. C’est dans ce sens qu’un proverbe russe dit “même la mort est belle”. De ce fait, pour arriver à ses fins, Poutine le slavophile,[7] n’a pas peur de brandir la menace extrême : l’arme nucléaire. Décimer des peuples concourt ainsi à défendre le Souverain Bien.

Poutine veut protéger la Russie de la décadence occidentale dont il dit qu’elle met sur le même plan les valeurs du bien et du mal refusant les principes éthiques et l’identité traditionnelle. Il fait référence ici au mariage gay et à la théorie des genres.


Poutine veut incarner ce Père de la nation, protecteur du peuple et des biens moraux. A l’image du Dieu de l’Ancien testament, dieu vengeur et purificateur, qui brandit l’arme du feu pour anéantir la décadente Sodome et Gomorrhe[8], Poutine montre qu’il est prêt à utiliser une arme semblable pour séparer le bon grain de l’ivraie. Voici comment Poutine peut justifier le mal qu’il inflige aux autres.


La question du mal selon FREUD

“ La question décisive pour le destin de l'espèce humaine me semble être de savoir si et dans quelle mesure son développement culturel réussira à se rendre maître de la perturbation apportée à la vie en commun par l'humaine pulsion d'agression et d'auto anéantissement. A cet égard, l'époque présente mérite peut-être justement un intérêt particulier. les hommes sont maintenant parvenu si loin dans la domination des forces de la nature qu'avec l'aide de ces dernières il leur est facile de s’exterminer les uns les autres jusqu'au dernier. Ils le savent, de là une bonne part de leur inquiétude présente, de leur malheur, de leur fonds d'angoisse. “ [9]


Lacan, reprenant après Freud la question de la pulsion de mort, s’intéressera à ce qui est en jeu au niveau du problème du mal.


“ C’est au niveau de la bonne et de la mauvaise volonté, voire de la préférence pour la mauvaise au niveau de la réaction thérapeutique que Freud retrouve le champ du “das Ding”... et nous y désigne ce qui dans la vie peut préférer la mort. Et il s’approche par là, plus qu’aucun autre du problème du mal, plus précisément du projet du mal comme tel.” [10]


Ce que Lacan désigne est au-delà du principe de plaisir et concerne le combat entre la pulsion de vie et la pulsion de mort, entre les dieux anciens Eros et Thanathos. Cet au delà concerne le champ du “ Das Ding “. Disons d’une manière très simplifiée que Das Ding est cette place vide laissée par le premier objet perdu et qui n’a jamais existé. Quand l’angoisse surgit c’est “das Ding” qui vient au premier plan, car , Lacan le précise, l’angoisse n’est pas sans objet. Cet objet concerne le premier objet de la haine, le cri, provenant de soi mais pourtant foncièrement étranger à soi même. Cri qui marque la rupture avec l’homéostasie initiale du fœtus et qui ne prendra sa valeur de signifiant qu’en présence de la mère qui l’interprète.

A propos de ce “das Ding », d’où provient l’angoisse et la destruction, Lacan continue :

“Je ne veux pas me laisser aller à une sorte de dramatisation. Toutes les époques se sont crues arrivées au maximum du point d'acuité d’une confrontation avec je ne sais quoi de terminale, d’au-delà du monde, dont le monde sentirait la menace. Mais le bruit du monde et de la société nous apporte bien l'ombre d'une certaine arme incroyable, absolue, qui est maniée sous notre regard d'une façon vraiment digne des Muses. Ne croyez pas que ce soit immédiatement pour demain - déjà autant de Leibniz, on pouvait croire que la fin du monde était là ...portez-vous donc à cette confrontation avec le moment où un homme, un groupe d’hommes, peut faire que la question de l'existence soit suspendue pour la totalité de l'espèce humaine, et vous verrez alors à l'intérieur de vous-même, qu’à ce moment das Ding se trouve du côté du sujet.

Vous verrez que vous supplierez le sujet du savoir qui aura engendrer la chose dont il s'agit - cette autre chose l'arme absolue - de faire le point, et comme vous souhaiterez que la vraie Chose soit à ce moment-là en lui - autrement dit qu'il ne lâche pas l'autre comment on dit simplement il faut que ça saute .[11]


Je terminerai donc avec cette question : « Aurons-nous envie de faire le point, comme Lacan le propose, d’aller à la rencontre de « das Ding » dans son inquiétante étrangeté ? » L’avenir nous le dira.

AU DELA DES NUITS

Au-delà des nuits, de la verte forêt Quand tout est dépeuplé et le cerf aux arrêts, Que la lune verdit et le silence gît Surgit le mystère d'un soupir. La brume s'épaissit, un bruit se glisse, L'aile frémit, la branche claque ! Qui passe, qui s'enfonce dans le noir ? Pas l'ombre d'un être, ni celle d'un espoir! Au-delà des nuits sans filet, sans sommeil, Le halètement furieux des esprits égarés, Rompt le silence épais des frondaisons effarées, Qui dort ? qui vit ? Qui veille ? Une lumière, un éclat, étincelle de vie ? Juste le frêle reflet d'une lueur Et ses quelques rayons qui dévient Dans la nuit obscure sans heure.

Qui s'offre ainsi ? Sinon le néant ! Négation de toute vie, Tel un crime dans la nuit Noir l'ivoire Des nuits sans sommeil, Sans y voir L’espoir d'une lueur Que diront les ombres effarées, Des spectres égarés ?

Un cri peut-être, Qu’arrêtent les hêtres. Nul ne sait la vie, Nul ne sait la mort, Qu'un être gît là, Tapit dans le décor. Dans le chaos obscur La parole surgit, La lumière jaillit Le feu trace l'épure Un éclat, un son, le monde...

[1] Théorie formalisée par le philosophe américain John Rawls dans son livre "A Theory of Justice", publié en 1971, traduit en France en 1987. Théorie soutenue par Alain MINC en 1980.selon laquelle l'État doit permettre l'enrichissement des personnes les plus riches afin que celles-ci réinjectent dans le système économique — par le biais de l'épargne (investissement) ou de la consommation — les revenus engrangés. Cela contribuerait à augmenter l'activité économique et l'emploi du reste de la société, davantage que si les revenus ainsi investis avaient été prélevés et redistribués via les impôts et les prélèvements sociaux. [2] Le Malaise dans la culture Freud (1930) – Quadrige / PUF p.56 : « Il est toujours possible d'unir les uns aux autres par les liens de l'amour une plus grande masse d'hommes, à la seule condition qu'il en reste d'autres en dehors d'elle pour recevoir les coups. Je me suis occupé jadis de ce phénomène que justement les communautés voisines et même apparentées se combattent et se raillent réciproquement ; par exemple Espagnols et Portugais, Allemands du Nord et du Sud, Anglais et Écossais, etc. Je l'ai appelé “narcissisme des petites différences”, nom qui ne contribue guère à l'éclairer. Or, on y constate une satisfaction commode et relativement inoffensive de l'instinct agressif, par laquelle la cohésion de la communauté est rendue plus facile à ses membres. [3]Citation extraite d'un entretien de 1974, avec l'écrivain français Roger Errera, sur la question du totalitarisme, lisible, dans son intégralité, en anglais, sur le site du Centro de Estudos Hannah Arendt de Sao Paulo (Brésil). [4] Kaës R. Le sujet, le lien et le groupe. Groupalité psychique et alliances inconscientes. Cahiers de psychologie clinique 2010;1:13-40. URL : www.cairn.info/revue-cahiers-de-psychologie-clinique-2010-1-page-13.htm [5] Ce concept apparaît initialement dans la thèse que soutient Lacan en 1948 sur « L’agressivité en psychanalyse » de « la structure paranoïaque du moi » [6] Souffrance en France - C.DEJOURS - Essais point p 37 [7] Le slavophilisme russe est fondé sur le concept de « génie de la Russie ». Les slavophiles décèlent celui-ci dans certaines valeurs et institutions considérées comme proprement nationales, comme la religion orthodoxe ou le Zemski sobor. Selon eux, l'européanisation brutale et précipitée de la Russie par ses souverains, de Pierre le Grand à Catherine la Grande, a fait perdre au pays son identité. L'objectif des slavophiles est donc le retour aux valeurs traditionnelles russes et la fin de l'imitation de l'Europe. Une fois ce but atteint, le génie de la Russie vaudrait à cette dernière de connaître un rôle primordial dans l'histoire de l'humanité. En tout ceci, les slavophiles sont radicalement opposés aux occidentalistes, dont l'opinion est que la Russie a accumulé un tel retard qu'elle doit absolument se mettre à l'école de l'Occident pour évoluer. [8] Bible Louis Segond - Genèse 18-19 [9]Le Malaise dans la culture – S.FREUD – Quadrige – PUF – p.89 – mars 2000 [10]Jacques Lacan – le séminaire VII – « L’éthique de la psychanalyse » p.124 – Seuil sept. 1986 [11]Jacques Lacan – le semaire VII – « L’éthique de la psychanalyse » p.125

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