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Des Chiffres et des lettres : tocs et traitement de la dyslexie

Dernière mise à jour : 10 mars


Thierry Nussberger, psychothérapeute à metz nous parle d'un cas de dyslexie
Un cas de dyslexie



Luce, dix ans, se plaint d’être sous la contrainte de pensées qui l’obsèdent. Elle voudrait trouver quelqu’un à qui en parler, autre que ses parents. Sa mère me contacte donc pour prendre rendez-vous. Luce est déterminée, elle veut me parler hors de la présence de sa mère. Je lui demande donc ce qui l’a poussé à venir me rencontrer. D’emblée Luce me dit qu’elle est perturbée par des pensées dont elle ne peut se débarrasser et qui à terme la fatigue.


Qu’est-ce donc que ces pensées ? Elle me dit qu’elle répète certains mots d’une phrase à laquelle elle pense puis elle ne peut s’empêcher de les épeler. En investiguant un peu plus elle ajoute que ce n’est qu’une partie de ce qu’elle nomme elle-même un rituel. En effet à ce processus s’en ajoute un autre qui consiste à compter le nombre de lettre contenu dans le mot. Il faut que le nombre obtenu soit pair, sinon il faut recommencer la procédure. Je lui demande si cela fait longtemps que cela s’est mis en place pour elle. C’est à la suite du visionnage d’un film inspiré d’une saga romanesque qu’elle a lu et qui lui a beaucoup plus. Elle voulait retenir le nom de l’actrice qui joue l’héroïne mais avait peur d’oublier son nom avant d’aller le noter. C’est à partir de là qu’elle a commencé à l’épeler pour s’en souvenir, surtout ne pas oublier. Je lui demande si cette peur d’oublier s’est manifesté auparavant ? Elle confirme et confie que cela lui arrive en classe quand la maîtresse pose une question et qu’elle lève le doigt pour répondre ou quand elle pense avoir quelque chose d’important à dire. Comme sa maitresse tarde à lui donner la parole elle craint alors d’oublier cette chose importante. En même temps que cette crainte d’oublier qui implique de trouver les moyens de ne pas perdre le fil de ce qu’elle voulait dire vient s’ajouter un sentiment qu’elle n’ose aborder. Ce sentiment, je le comprends, risquerait d’entacher l’amour qu’elle porte à sa maîtresse.


Puis elle ajoute qu’après un certain moment elle oublie ce qu’elle voulait dire et que ce qui lui apparaissait comme une urgence à dire parce qu’important, ne l’est décidément plus. Cela semble la laisser dans une certaine expectative. En effet comment quelque chose qui nous paraissait hautement important peut ensuite passer dans l’oubli et être ravalé à l’insignifiance. Je lui demande si elle a été confrontée à d’autres moment où l’oubli, la perte l’ont questionnée. Elle me répond alors qu’elle a été très touchée par la perte d’un membre de sa famille. Elle l’aimait beaucoup précise-t-elle. Cette personne décédée fait ainsi partie de la série des personnes ou personnages aimés et perdus ou que l’on risque de perdre. Elle en a été très affectée, et puis elle se rend compte que parfois elle oublie. Je lui demande si c’était la première fois qu’elle était confrontée à la mort d’un être. C’était le cas. Elle me dit qu’elle ne croit pas qu’après la mort il puisse y avoir quelque chose. Elle reste ainsi un long moment à me regarder sans dire un mot. J’arrête la séance sur ce dit, elle tient à me rencontrer à nouveau.


De s’aventurer ainsi dans la complexité du symptôme qui embarrasse Luce on en découvre ainsi sa fonction. Ici le symptôme agit en deux temps : la décomposition du mot en lettre puis le comptage du nombre de lettre pour obtenir un chiffre qui doit être pair, sinon c’est perdu. Or justement la fonction de tout cela, selon l’énoncé de Luce est de parer à l’oubli, à la perte du mot ou de la phrase.


Le réel qui décide si c’est gagné ou perdu vient ici à se représenter par le chiffrage de la lettre. Pair /impair/in-perdu. Le pair ou l’impair n’est pas décidable d’avance, il faut faire le compte des lettres du mot ainsi épeler, c’est à dire réduit à son ossature la plus extrême. Réduit à la lettre le mot est déjà perdu. Ainsi le mot qui fait vibrer, celui dont il est si important de se souvenir n’est rien d’autre qu’une épellation. Cette réduction au squelette du mot il faut ensuite la chiffrer pour laisser au sort la décision de la perte totale. Ce que Luce vient à poser par le biais du symptôme qui lui fait demander une écoute attentive c’est de résoudre pour elle cette énigme de l’amour et de la perte de ceux qui ont compté pour nous. Comment va t-elle résoudre cette énigme et résoudre cette opération. En écoutant ce qui est en jeu dans l’énigme du symptôme ?


traitement de la dyslexie d'Hélène

Hélène parle souvent de sa mère dont elle déplore le manque d’attention. N’a-t-elle pas dû s’en sortir dans la vie sans avoir la possibilité de s’appuyer sur celle-ci. Une rage sans nom s’empare d’elle à l’évocation, ça la perturbe. Sa demande initiale concernait un manque de confiance en elle qui lui faisait se soumettre à l’autre, accepter des situations impossibles et aussi une piètre image d’elle-même. Sa vie lui semblait inconsistante et sans vraiment de sens. Elle évoquera le cortège des difficultés qui a jalonné sa vie pour en venir à cette première source de handicap que fut pour elle sa dyslexie. Elle me racontera ses interminables séance d’orthophonie qui n’ont pas vraiment résolu son problème. Je lui demanderai en quoi consistait sa dyslexie. Elle commence à me décrire la difficulté de reconnaitre les P et les B ainsi que les Q. Puis la difficulté de comprendre ce qu’elle lisait.

Sa mère lui faisait la lecture des passages qu’elle avait à lire à l’école ainsi Hélène retenait le texte. Elle pouvait le restituer ce qui trompait l’institutrice qui disait que Hélène savait lire. Mais sa mère voyait bien que non et informa la maitresse. La difficulté pour Hélène consistait aussi à unifier les syllabes pour reconstituer le mot afin qu’il prenne sens. Il y manquait la forme totale, unifié. Quand elle me dit cela elle ajoute c’est comme ma mère j’en avais des morceaux je n’arrivais pas à me la représenter unifiée. Moi-même dit -elle j’ai l’impression d’être en morceaux.


La dyslexie ici s’apparente selon les dires d’Hélène à la même problématique qu’elle rencontre avec sa mère. En fait la rage qu’elle ressent vis-à-vis des défaillances de celle-ci qui a été incapable de la soutenir vient morceler l’image du corps. Cette pulsion ravivée par l’insuffisance maternelle à laquelle elle se confronte aujourd'hui vient entamée l’image globale et la morcelle. Dans le travail nous nous attachons à reconstituer une image du corps et une représentation d’Hélène que la pulsion de haine ne risquera pas de détruire

Pour Luce comme pour Hélène les objets d’amour se révèle comme étant défaillant. La mère d’Hélène est décrite comme peu capable d’attention. La maîtresse de Luce déçoit parce qu’elle ne prête pas attention à l’importance du dire de Luce. Chacune des situations fait naître une frustration impliquant la pulsion d’agression qui vise à la destruction de l’objet d’amour. Mais comme l’objet d’amour se confond avec l’image du sujet en construction c’est l’image même du sujet qui risque d’être morcelée. Hélène se dit d’ailleurs être fort fusionnelle avec sa mère. La fonction de la représentation aura pour objet de pallier à l’absence de l’autre, de l’objet ou à son l’équivalent sa mort. Cette représentation se substitue à l’objet ou à la personne réelle et s’offre comme compensation. Ce mode opératoire est complexe et ses ratés, notamment de ne pas réussir à s’en satisfaire à la place du réel, suppose que ce soit avant tout le sujet qui chute, qui déchoit, en tant qu’objet perdu de l’« autre aimé. ». C’est ainsi qu’Hélène parle de ce seuil si difficile à franchir qui consiste à décoller de l’autre maternel alors même qu’elle juge la mère réelle insuffisante. Ce décollage suppose son propre anéantissement, ce que Lacan nommera « aphanisis du sujet ». Sur le schéma L de Lacan c’est ce moment où l’axe a-a’ est traversé par l’axe s s/.

Car la représentation, et donc le fait de parler, suppose qu’à l’objet réel et à son image se substitue un signifiant qui nous représente et qui à partir de lui mette en ordre tous les signifiants (ordre symbolique). Ainsi ce que Lacan appellera le S1 nous représentera dans le discours, et sera en relation avec celui-ci (le S2). Le prix à payer est le réel, cette livre de chair que nous cédons. Ce sont les impasses et la complexité de cette opération qu’Hélène et Luce traduise dans leur symptôme.


L’écoute particulière que le dispositif de la psychanalyse permet donne au sujet la possibilité de déployer son symptôme, d’en saisir la fonction de le respecter pour cela, mais du coup cela permet aussi d’en changer les modalités une fois que ce qui était inabordable par le sujet, car trop risqué pour lui, peut se mettre à jour. L’analyste aide à l’énonciation de ce qui est la partie intime et inconsciente du sujet, car en présence de l’analyste il est assuré que la pulsion ne sera pas ravageante pour lui mais pourra être prise en compte vers d’autre modalité d’expression que le risque du passage à l’acte violent par exemple.

Les dispositifs ou méthode orthopédiante prennent en charge le symptôme pour le corriger, le rectifier. S’il s’agit de réorganiser les connexions synaptiques par une méthode appropriée, ou de modifier le comportement par rapport au symptôme, que devient le dire du sujet sur celui-ci. Certes il peut par une réadaptation appropriée passer outre mais quid de ce que le sujet y engageait ?


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