auteur : Thierry Nussberger

INOXTAG
De la Moselle au pays basque son nom est capable de remplir les centres commerciaux de fans, venus pour acheter et se faire dédicacer la BD Manga “ Instinct”, écrite en collaboration avec Charles Compain et Basile Monnot. Que ce soit pour l’ascension de l’Everest ou celle des escalators des supermarchés INOXTAG atteint des sommets en termes d’audience. « Instinct » était déjà annoncé à la fin du film dévoilant ainsi la logique commerciale de « l’entreprise Kaizen ». Aujourd'hui Kaizen et Instinct possède leur déclinaison de produits dérivés, agrémentée d'une philosophie de supermarché issue de l’économie libérale qui accompagne ces produits.
KAIZEN, le film !
Un aigle apparaît, majestueux, il traverse une forêt de pin puis s’envole vers les cimes, vers une Cime : l’Everest.
Le décor est planté, la métaphore est claire ! L’aigle annonce la grande épopée d’INOXTAG ! Nul besoin de présenter INOXTAG les médias s’en chargent amplement.
Une musique épique nous introduit au commentaire d’INOXTAG qui nous présente les risques et les dangers de l’entreprise. On mesure en quoi il est de la trempe des héros ! Ceux des mangas, plus spécifiquement les Shönen, dont il se délectait dans sa jeunesse. De jeunes adolescents qui plongent dans des aventures extraordinaires, dépassent leurs limites et faiblesses et combattent pour la justice.
INOXTAG est tellement identifié à ce type de héros que le chapeau de paille de Luffy l’accompagne dans toute son ascension.
Kaizen n’est pas un film sur la montagne, ni sur les conséquences de la surfréquentation de l’Everest par ses conquérants. Il n’est pas non plus un film sur la vie des Sherpas et les risques qu’ils affrontent pour vivre. INOXTAG instille juste quelques touches impressionnistes qui montre un garçon sympathique capable de s’émouvoir quelques instants sur la condition du peuple tibétain, les morts sur l’Everest ou de la dimension écologique. Ça fait le taf ! Non, KAIZEN est un film sur INOXTAG, sur la volonté d’INOXTAG à changer sa vie, à devenir plus performant !
En appelant son documentaire/fiction KAIZEN, INOXTAG nous livre les clés de son propos. D’emblée il pose le mythe de la réalisation de soi par les “petits pas” que l’on fait chaque jour pour devenir meilleur, sous-entendu être plus performant et plus productif.
KAIZEN, la méthode !
Car il y a une méthode KAIZEN qui résonne avec la démarche d’INOXTAG.
Celle Introduite en 1950 par Taiichi Ono dans les usines Toyota au japon, pour améliorer la performance en s'attachant au procès du travail. Il s’agit pour cela de permettre aux opérateurs de s'impliquer et de proposer des améliorations au quotidien. “En amélioration continue, la méthode Kaizen vise à optimiser la productivité d'un processus industriel par de petites améliorations régulières.”
Le mantra des formateurs en méthode kaizen se décline ainsi “ Ne pas viser la perfection mais procéder par étapes, dans une démarche d’amélioration continue : c’est en résolvant les problèmes les uns après les autres que l’objectif sera atteint.”
INOXTAG l’annonce au tout début du film “il veut changer, devenir un nouvel homme, être meilleur.” Cela consiste à quitter ses consoles et le monde merveilleux du virtuel dans lequel il excelle pour se confronter au monde réel.
Mais quel est le monde réel auquel INOXTAG veut se confronter ? Quelle est sa réalité ?
Il le révèle à ses fans le 24 février 2023 Il va gravir le plus haut sommet du monde : l’Everest. Il en rêve, parait-il depuis quelques années.
Au début du film INOXTAG nous présente son quotidien virtuel et comment il décide d’en sortir et de changer. Il commence alors une préparation intensive qui durera un an pour se donner toutes les chances d’atteindre son objectif.
Tout ce procès de changement est filmé. La qualité des images ne laisse aucun doute sur l’équipe de professionnels qui l’entoure. Le film Kaizen nous permet de comprendre que tout, depuis le début est scénarisé, préparé, mis en scène. Rien n’est laissé au hasard. Le film sera digne des plus grandes productions hollywoodiennes.
Est-ce INOXTAG qui a tout orchestré ou bien, comme dans la méthode Kaizen, chacun - vidéastes, architectes 3D, guide de haute montagne, sponsors - a contribué à la réalisation de ce grand défi ?
Cet homme nouveau s’apparente aux héros de mangas de son adolescence, il est en parfaite harmonie avec l’homme d’aujourd’hui qui grâce à ses petits pas peut devenir performant et relever les plus grands défis.
Changer et réussir sa vie selon Inoxtag !
Alors INOXTAG a-t-il vraiment changé comme il le souhaite en martelant tout au long du film son autre mantra : quitter les consoles, chausser les koflach.
Certes s’il abandonne bien ses consoles mais on ne peut pas vraiment dire qu’il quitte le monde de ses mangas et l’idéal prôné par ceux-ci.
Qu’entend INOXTAG par changement, par devenir un nouvel homme ? Ce qu’il nous montre dans le film c’est sa capacité à placer son énergie d’une manière différente. Il cesse de conquérir le monde virtuel avec ses dix doigts et part découvrir le monde avec ses pieds. Mais le discours de « ce monde » le quitte-t-il ? Car le monde humain n’est pas le monde de la nature, monde animal codifié par les gènes. Non le monde humain est un monde de discours, et INOXTAG proclame un discours. Lequel est basé sur l’idée de conquête et de volonté d’y arriver, d’atteindre son objectif : le plus haut sommet. La demeure des dieux ! Chez les hébreux ou les grecs elle se situe toujours sur les monts.
Il faut donc se dépasser, devenir la meilleure image de soi-même et briller aux yeux des autres.
Cette performance est le signe de notre époque, elle est en lien direct avec le système qui régit notre monde, produit du néolibéralisme qui l’a enfanté.
Son mot d’ordre est la jouissance ! Il ne s’agit pas ici uniquement de « la sexuelle », mais de celle que définit le droit en termes de « jouissance des biens ».
Tout est possible à celui qui croit en lui-même, qui s’investit dans la tâche de la réussite, laquelle est matérielle et trouve son bonheur dans la possession des objets.
"Comment peut-on reprocher à un Président d'avoir une Rolex, une Rolex ! Enfin tout le monde a une Rolex... si à 50 ans on n'a pas une Rolex, on a quand même raté sa vie ! annonçait le grand apôtre des temps moderne Jacques Segala à propos des reproches que l’on faisait à Nicolas Sarkozy. A 22 ans INOXTAG l’aura reçu d’un autre Youtubeur qui réussit sa vie doublement puisque non seulement il en possède plusieurs mais il en offre une !
Or tout oppose l’homme idéal d’aujourd’hui à l’homme idéal d’hier.
Si, aujourd'hui c'est l’homme de la jouissance qui est valorisé, autrefois c’était plutôt l’homme du sens et du renoncement à la jouissance
Homme de Jouissance versus homme du Jouit-sens
L’homme se réalisait autrefois en donnant un sens à sa vie. Un sens qui donnait aussi une place à l’autre.
A l’opposé de la culture de supermarché des influenceurs, dont INOXTAG est autant l’acteur que le miroir de ce microcosme social, il y a celle dont l’apôtre Paul a été l’un des fondateurs et qui a ensemencé la culture chrétienne. L’une donc, basée sur la jouissance des biens, l’autre fondé sur le Joui-sens, et sur lesquels les religions s’appuient pour offrir au monde le « prêt à porter » du sens. D’un côté le « prêt à porter » de la jouissance proposée par la société néo-libérale de l’autre le « prêt à porter » du sens servi par les religions.
Bien sûr, avant Paul, il y eut les Grecs et surtout Socrate qui subvertissait les discours des rhéteurs de son époque et remettait en question tous les « prêt à porter » des discours. Paul différemment affirme « qu’il pourrait avoir toute la science des mystères et toute la connaissance de Dieu, il aurait beau avoir toute la foi jusqu’à transporter les montagnes, s’il manque l’amour, on n’est rien. »« J’aurais beau distribuer toute ma fortune aux affamés, j’aurais beau me faire brûler vif, s’il me manque l’amour, cela ne me sert à rien. »
Et Paul décline ce qu’est l’amour selon lui :
« L’amour prend patience ; l’amour rend service ; l’amour ne jalouse pas ; il ne se vante pas, ne se gonfle pas d’orgueil ;il ne cherche pas son intérêt ; il ne s’emporte pas ; il n’entretient pas de rancune il ne se réjouit pas de ce qui est injuste, mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai »
Cet amour, dont il fait la déclinaison de ce qu’il n’est pas et de ce qu’il est, mal traduit dans la bible par “Charité”, est en fait l’Agape de YHWE et du Christ. Un Amour qu’aucun homme ne peut atteindre. Paul le dit lui-même : « ce qui est bon, je le sais, n'habite pas en moi, c'est-à-dire dans ma chair : j'ai la volonté, mais non le pouvoir de faire le bien. » Car je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas.
Ce à quoi Paul convie son auditoire c’est à opérer un changement radical de perspective. Sortir de la jouissance des biens, celle qu’il nomme “de la chair” pour
donner un sens nouveau à la vie humaine en opérant ce que les grecs appelaient une métanoia, un changement de mentalité. Quitter la jalousie, le désir insatiable de possession des biens - l’argent, le sexe, le savoir, le pouvoir au détriment du prochain - pour diriger son attention vers l’autre. Il invite chacun à devenir un homme nouveau, mu par le désir de l’Agape que seule la grâce de Christ / Yhwh permettra selon Paul. Le message de Paul c’est dépasser son désir de jouissance personnel, y renoncer pour s’ouvrir à l’autre.
L’évangile de Paul versus l’évangile néolibéral d’INOXTAG
KAIZEN : L’Evangile néo-libéral selon INOXTAG !
INOXTAG semble bien être à la fois le produit et le miroir d’une société hypomaniaque qui confond le vide et le manque, le besoin et le désir et qui y trouve un intérêt “capital”. Sorte de ventre glouton qui a la capacité d’assimiler tous les discours et les distribuer dans les temples du marketing avec le packaging de l’époque : écologiste, humaniste, philanthropiques mais dont le message final se résume au constat que si je n’ai pas l’argent et le pouvoir je ne suis rien. Paul aurait appelé cela : servir Mamon.
Autre temps autre mœurs. Le message de Paul, souvent corrompu et biaisé par les Eglises censé le transmettre, n’est plus d’actualité. Nous sommes à l’ère du développement personnel, du dépassement de soi fort à l’honneur dans les entreprises.
Développer sa capacité mentale, les pouvoirs inconnus de son cerveau, se dépasser par des rites d’initiation, gravir l’Everest, sauter à l’élastique, marcher sur des braises brulantes. Se dépasser…et servir la production : c’est KAIZEN !
Comments