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Photo du rédacteurThierry NUSSBERGER

"L'EN-FERS" DE LA VÉRITÉ

Travailler avec des personnes psychotiques pose question.

A moins que la question soit depuis longtemps réglée par les exclamations lapidaires telles que celle-ci : " de toutes façons c'est un psychotique !". Ce qui sous-entend, quand ce n'est pas ouvertement affirmé : " qu'il n'y a rien à en tirer " comme on tirerait le lait d'une vache sinon les vers du nez. Le panel imagé des expressions toutes faites éclaire le mode sur lequel nous entrons en relation avec l'autre : consommateur de l'autre, hygiéniste – purgatif, etc.





Vivre ou travailler avec un névrosé n'est d'ailleurs pas sans poser de questions si ce n'est en réglant celles-ci de la même manière : " c'est un(e) hystérique!"

Une des questions récurrentes qui semble assez symptomatique lorsque des professionnels travaillent avec une personne psychotique se formule souvent ainsi : " quel comportement dois-je avoir ?" Il s'agit là d'une conception de la relation qui suppose qu'à une action doit correspondre une réaction adaptée, ou qu'à une question posée doit nécessairement être donnée une réponse juste. On n'en appelle donc à une vérité de la réponse, à une précision qui ferait qu'à la demande de l'autre colle une réponse idéale. Cela n'est pas sans évoquer les mythes récurrents eux-aussi de la parfaite adaptation de la mère aux besoins ou à la demande de l'enfant


A la question concernant la justesse du comportement à avoir s'associe souvent et à sa suite celle de savoir comment faire en sorte qu'un patient psychotique ne dépasse pas les limites. C'est ainsi que des voies communes se fraient dans la rencontre avec les psychotiques et les hystériques : comment éviter qu’ils ne débordent, qu'ils n'envahissent ou qu'ils ne détruisent : l'ordre? Le pouvoir? ou qu'ils ne viennent ébranler quelques certitudes ou savoirs?

S'il y a des réponses adaptées, des vérités toutes faites quant à la question du comportement alors l'affaire est réglée ; il s'agit de faire appel à des spécialistes et d'en former.


La question de l'être humain se pose pratiquement tout le temps en terme de limites qu'il faut de gré ou de force inculquer, d’intégration de la personne dans la collectivité afin que la vie en groupe lui apprenne ce qu’est l’autre.

Cette question des limites que saura intégrer l’enfant se pose initialement pour les parents soucieux de la conformité de leur progéniture à la norme social : "est-il bien réglé pour ses biberons? "Va-t-il bien au pot?".

C'est clairement entré dans les consciences et les pratiques, sociales et professionnelles, que ce sont les règles et les limites, bien posées et soutenues uniformément par les deux parents ou par les équipes, qui favorisent pour l’enfant la possibilité de bien les intégrer - d'où l'appel à la sacro-sainte vérité de la cohérence de l'équipe.



Aux rayons des victimes de la vérité toute faite nous pourrions appeler cela une co-errance. La cohérence dont il s’agit alors est celle qui fait vœu d’une pensée commune exterminatrice de toute différence.

D'où l'on déduira qu'un leurre faisant office de vérité est un puissant créateur de lien.

Attention la zizanie et l’anarchie ne sont pas loin crieront certains, sans compter sur le poète qui clamait que l'anarchie c’était » l'ordre moins le pouvoir ». Il pourrait être judicieux de saisir la question qui se pose derrière la trame des réponses toutes faites : qu'est-ce qui structure un sujet? La réponse toute faite on l'a vu c'est de savoir poser les limites et les règles qui permettront à l'enfant, aux psychotiques de se repérer, de s’intégrer et d’accepter la relation via le collectif.


C'est ainsi qu’une éducatrice posait la question sur ce qu'elle devait faire face à un enfant qui refusait de s'inscrire dans le groupe. Cet enfant se mettait toujours en dehors. Tout avait été essayé pour le ramener à la loi du groupe, pour qu'il en accepte les règles etc. Ce qui sous-tend cette démarche c'est bien entendu le vœu de socialisation pour ces enfants. Là encore on fait de la socialisation la recette miracle de la résolution des problèmes. Mais est-il aussi vrai et certain que ce soit cela qui structure un sujet? Est-ce à l'aune des règles et limites énoncés que l'être se repère ?


La question se pose à propos du pervers qui peut user de la loi et des règles pour asseoir sa jouissance. Que là où il se repére c'est dans ce moment où il voile par le fétiche et l'usage de la loi comme fétiche, la question qui se pose à lui eu égard à son désir et à la castration. Repérage on le voit bien inconscient.


Que soutient l'hystérique dans son comportement si versatile et théâtrale ? si ce n'est le désir du « père » et qui fait du père un être unique. Lui comme non châtré, à la différence de tous les autres hommes, (l’hommoinsun dont parle Lacan) qui ne pourront être que des lavettes et elle, comme soutenant le mirage d'un phallus consistant.


Et le psychotique que nous enseigne-t-il dans cet impossible à s'inscrire dans les règles et fonctionnements sociaux ? Il y a dans la question formulée de cette manière une indication : il ne s'inscrit pas : au sens où un signifiant viendrait à le re-présenter. C'est avec le signifiant que l’a-sujet psychotique semble en découdre. Quand un sujet s’inscrit dans le discours un signifiant vient seul à le représenter, comme semblant. Le sujet se trouve ainsi aliéné au signifiant. C'est cette aliénation que refuse le psychotique. Lui, il « choisit » de s'aliéner à la jouissance en sorte qu’il prend le signifiant au pied de la lettre, au sens où le mot est alors identique à la chose et que rien n’est extrait de la jouissance. Peut-on alors parler de choix non-existenciel au sens d'être un non-sujet ? S'aliéner c'est accepter qu'un signifiant nous représente pour un autre signifiant. Le je de l'énoncé n'est pas le je de l'énonciation. « Je m'y perds à me faire représenter et pourtant je m'y retrouve » Le je de l’énoncé se trouve dans l’expression « je mens » le « je » de l’énonciation serait : je dis la vérité.


Mais l’être humain ne se supporte pas d’être sans une vérité, sans une illusion ? Celui qui dit le vrai du moment rassurera même si son dire mène sur des chemins de traverse. Sous la barre d'un signifiant qui « voudrait dire » le vrai il y a la vérité de l’inconscient qui se constitue comme un dérapage, une butée et révèle par les glissements possible du signifié sous le signifiant une autre vérité qui constitue le signifiant comme semblant.


Dans la clinique les effets :

Faire consister l’Autre, l’Autre de la Loi ou de la vérité c’est demander au père réel d’incarner le père symbolique plutôt que d’en assumer la fonction. Pas étonnant que cela angoisse le sujet quand on l’amène à devoir accepter la loi. On le confronte à un Autre de la jouissance qui sait.

Si le père c’est celui qui se confronte au désir il est aussi confronté à son manque et se constitue comme n’en sachant rien sur la question du sexe et de la mort. Il n’y a pas de savoir non plus sur son désir – ce à quoi se coltine l’hystérique – le savoir sur son désir placerait-il l'homme ou la femme face à une vérité qui le ferait mourir en tant que sujet, comme tout être qui périrait devant la face de Dieu, face à la Chose le sujet se perd.

Le père et la mère du psychotique se constitue souvent comme observateur qui sait ce qui convient à leur enfant. Il n’y a pas d’écart, de doute possible. Ce savoir tue le sujet car il écarte le désir. Le sujet est jouit par l’Autre qui en fait son objet.


Lacan dans le séminaire 3 chap. 17 p.243, 244 écrit :

« En 1939 encore, quand Freud écrit Moïse et le monothéisme, on sent que son interrogation passionnée n'a pas baissé, et que c'est toujours de la même façon acharnée, presque désespérée, qu'il s'efforce d'expliquer comment il se fait que l'homme, dans la position même de son être, soit aussi dépendant de ces choses pour lesquelles il n'est manifestement point fait. Cela est dit et nommé - il s'agit de la vérité.

J'ai relu Moise et le monothéisme à dessein de préparer la présentation qu'on m'a chargé de vous faire de la personne de Freud, dans deux semaines. Il me semble qu'on peut y trouver une fois de plus la confirmation de ce que j'essaie ici de vous faire sentir, à savoir que l'analyse est absolument inséparable d'une question fondamentale sur la façon dont la vérité entre dans la vie de l'homme. La dimension de la vérité est mystérieuse, inexplicable, rien ne permet décisivement d'en saisir la nécessité, puisque l'homme s'accommode parfaitement de la non-vérité. J'essaierai de vous montrer que c'est bien là la question qui jusqu'au bout tourmente Freud dans Moïse et le monothéisme.

On sent dans ce petit livre le geste qui renonce et la figure qui se couvre. Acceptant la mort, il continue. L'interrogation renouvelée autour de la personne de Moïse, de son hypothétique peur, n'a pas d'autre raison que de répondre à la question de savoir par quelle voie la dimension de la vérité entre de façon vivante dans la vie, dans l'économie de l'homme. Freud répond que c'est par l'intermédiaire de la signification dernière de l'idée du père.

Le père est d'une réalité sacrée en elle-même, plus spirituelle qu'aucune autre, puisqu'en somme rien dans la réalité vécue n'en indique à proprement parler la fonction, la présence, la dominance. Comment la vérité du père, comment cette vérité que Freud appelle lui-même spirituelle, vient-elle à être promue au premier plan ? La chose n'est pensable que par le biais de ce drame an-historique, inscrit jusque dans la chair des hommes à l'origine de toute histoire - la mort, le meurtre du père. Mythe bien évidemment, mythe très mystérieux, impossible à éviter dans la cohérence de la pensée de Freud. Il y a là quelque chose de voilé. Tout notre travail de l'année dernière vient ici confluer - on ne peut nier le caractère inévitable de l'intuition freudienne. Les critiques ethnographiques portent à côté. Ce dont il s'agit est une dramatisation essentielle par laquelle entre dans la vie un dépassement intérieur de l'être humain - le symbole du père. La nature du symbole est encore à éclairer. Nous en avons approché l'essence en le situant au même point de la genèse que l'instinct de mort. C'est une seule et même chose que nous exprimons. Nous tendons vers un point de convergence - que signifie essentiellement le symbole dans son rôle signifiant ? Quelle est la fonction originelle et initiatrice, dans la vie humaine, de l'existence du symbole en tant que signifiant pur ? »

Dans "I’Analyse avec fin et l'analyse sans fin, 1937", Freud écrit que « la relation psychanalytique est fondée sur l'amour de la vérité, c'est-à-dire la reconnaissance de la réalité ». De quelle vérité et de quelle réalité s'agit-il ? Pour Lacan la vérité ne peut avoir d'autre fondement que « la parole apparaît d'autant plus vraiment une parole que la vérité n’est pas adéquate à la chose - (Écrits). Le signifiant ne désigne pas la chose, il représente le sujet, il ne peut y avoir d'adéquation à la chose que hors du registre du signifiant et du sujet.

Dans Subversion du sujet et dialectique du désir, in Écrits. P 167 Lacan écrit : « Il est clair que la parole ne commence qu’avec le passage de la feinte à l'ordre du Signifiant et que le signifiant exige un autre lieu - le lieu de l'Autre, l'Autre témoin, le témoin Autre qu'aucun des partenaires - pour que la Parole qu'il supporte puisse mentir, c'est-à-dire se poser comme Vérité. Ainsi, c'est d'ailleurs que de la Réalité quelle concerne que la Vérité tire sa garantie: c'est de la Parole. Comme c'est d'elle qu'elle reçoit cette marque qui l'institue dans une structure de fiction. »


C’est donc dans la tromperie que le sujet se manifeste Lacan propose cette histoire juive reprise de Freud:

« Pourquoi me mens-tu en me disant que tu vas à Lemberg pour que je croie que tu vas à Cracovie alors que tu vas vraiment à Lemberg ? »

C’est le paradoxe de celui qui dit qu’il ment, si bien que celui qui dit qu’il ment dit effectivement la vérité. Si le psychanalyste adopte cette position comme le font ceux qui postulent une partie saine du moi avec laquelle ils débattent de la vérité - il tient le sujet quitte de sa division alors que c'est justement par cette division qu'il y a vérité. La distinction pertinente est celle de l'énoncé et de l'énonciation (séminaire 1964, les Quatre Concepts.... 1973).

L ’intervention de l'analyste ne vise pas le « je » qui s'affirme dans l'énoncé - ce serait alors une relation duelle -, elle doit intéresser le sujet de l'énonciation de façon que l'analysant puisse entendre en retour son message comme un « je te trompe » et la ponctuation de l'analyste comme un « tu dis la vérité ». C'est la révélation, dans le transfert, de la tromperie inconsciente qui produit ici un effet de vérité. Celui-ci est obtenu parce que l'analyste, au fait de l'ambiguïté de toute assertion, ne s'éprouve pas trompé, à la différence de l'interlocuteur de l'histoire juive.

L’analyste fait entendre à l'analysant la vérité de son dire, il ne se met pas en posture de « dire le vrai sur le vrai » ce qui reviendrait à masquer l'impossible. L'effet de vérité dans la cure est dans ce qui s’y voile et se dévoile, cela tient au manque à être que détermine le signifiant, au réel qui lui échappe. C'est parce qu'il y a ce réel que celui qui s'efforce de dire la vérité ne fait que la mi-dire » et que celle-ci a une structure de fiction. La vérité devient alors reconnaissance de ce réel en tant qu’impossible à dire. Lacan dira ainsi que la vérité est étrangère, inhumaine, et qu'il est du sort de tous d'en refuser l'horrible. Du coup, c’est elle qui parle : « moi la vérité je parle ». Elle parle dans les formations de l'inconscient et dans les symptômes. La vérité des symptômes névrotiques, dit Lacan, c'est d'avoir la vérité comme cause.

« Qu’est-ce que cela peut vouloir dire que d’aimer la vérité » s’interroge Lacan ( L’Envers de la Psychanalyse- vérité sœur de jouissance- p 76) . Ne s’agit-il pas là d’un amour qui ne porterait que sur les manifestations symptomatiques de la vérité, ne renonçant pas à la jouissance qu’elles procurent et ancrerait par-là dans l’impuissance à être autre chose que l’instrument de la jouissance divine ( cf p.75 et 76)


Cette vérité qui chez le psychotique s’éprouve comme certitude, ne souffre pas l’ombre d’un doute qui réduirait Dieu à une ombre, un vent. Ici Le dieu du psychotique est Jouissance sœur de la vérité.


Alors le psychotique est-il irrémé-diablement au prise avec le réel , pas tout à fait puisqu’il essaie de le saisir par des mots mais qui serait comme la vérité de la chose. Par contre ce saisissement est hors du semblant. Il impose une adéquation mythique entre le signifiant et le réel, le signifiant et la chose. Il impose la tyrannie de l’Autre non barré. Reste alors la question : comment traiter alors avec le psychotique, disons plutôt avec l’Autre du psychotique ?

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