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Photo du rédacteurThierry NUSSBERGER

SEXUALITE déclinée

Quand les médias abordent la sexualité c’est souvent à partir des problèmes techniques liés à l’usage de la sexualité, de ses emboîtements et de ses boitements - je parle évidemment de ce qui se dit de l’impuissance, de l’éjaculation précoce, des difficultés pour une personne de se mettre en position de satisfaire à la norme amoureuse. Mais il y a aussi les problèmes d’identification : ne pas se sentir assez viril ou pas assez femme, ne pas être en accord avec son sexe anatomique ou vouloir en changer.


Quel regard singulier apporte l’orientation lacanienne de la psychanalyse sur la question de la sexualité voire de la sexuation ?

Comment cette orientation permet-elle d’avoir une écoute différente lorsqu’un homme ou une femme, parle de sa sexualité et de ce qui pose question pour lui ou pour elle. Comment ceux qui témoignent de leur souffrance à ne pas se reconnaître dans les normes sexuées nous enseignent-t-il sur les embarras du sexe ?




Le mot « sexe » a de nos jours et depuis qu’une libéralisation sexuelle et des mœurs sont prônées avec force – trouvant son apogée dans la formulation dite révolutionnaire datée de 1968 : « Il est interdit d’interdire » - une connotation liée à une jouissance de droit sinon obligatoire !

Tout le monde a droit à la jouissance et la norme est que tout un chacun doit jouir ! Ce qui serait le pendant de la formule « il est interdit d’interdire ». Notons au passage cet impératif d’une censure de l’interdit.

Mais comment prôner la liberté si la liberté même de l’interdit est d’emblée interdite ? La jouissance se fait ici même Maître Absolu. Il faut lui obéir, lui être soumise.

Mais d’où cela est-il venu ? (et particulièrement en 1968!).

Historiquement on peut repérer un lien qui a été fait entre classe sociale soumise et laborieuse d’avec la répression sexuelle. Ce fut l’espoir même de certains psychanalystes dissidents de Freud de remédier à la soumission des classes laborieuses en promulguant une libération sexuelle. L’idée était que la société capitaliste canalisait l’énergie sexuelle des masses en les faisant travailler et donc produire. Si de surcroît celles-ci produisaient aussi des enfants pour servir le système alors on encouragerait aussi la reproduction. La sexualité était normée dans ses fins : la procréation au service d’une société capitaliste permettait d’avoir à disposition une main d’œuvre disponible et pas chère.

On remarque que pour les religions catholiques et protestantes, toujours à la lisière des pouvoirs - quand elles ne sont pas introduites au sein même de ceux ci - la sexualité ne devait pas être référencée à la jouissance mais à la conservation de l’espèce et être encadré par le sacrement du mariage. Et c’est bien ce qu’il s’agit d’endiguer : la jouissance. Le péché ayant été interprété comme une consommation abusive de l’acte sexuel pour le plaisir.

L’éducation, la médecine vont être tributaire de cet encadrement de la jouissance par la loi. Ainsi il faudra pour l’éducateur canaliser les forces sexuelles pour le travail et le sport. Les médecins, les éducateurs, les religieux vont prêcher les vertus de l’effort sportif ou intellectuel pour canaliser, fatiguer le jeune adolescent aux prises avec les forces obscures de la sexualité.

La sexualité est donc vu dans ce cas comme pouvant concourir à la déstabilisation d’une société productiviste et industrieuse. L’énergie qu’elle est censé contenir doit être récupéré aux fins d’un productivisme chevronné ou d’un idéal qui soutient le lien social.


C’est ainsi, par exemple qu’un médecin psychanalyste marxiste, Wihlelm REICH émit l’idée que la cause des névroses étaient dû à la manière dont la société occidentale obligeait de par sa structure à la répression de la sexualité et il milita pour une libération de l’orgasme.

Tout cela fut concomitant de la libéralisation des mœurs qui voulait porter un coup fatal à toutes les religions du Père et à ses avatars tels les sociétés et systèmes de type patriarcales. Le Père dont il est question ici est proche du père de la horde primitive dont parle Freud : celui qui fait la Loi, qui possède toute les femmes et à qui les fils sont soumis. Le père jouisseur donc ! C’est mettre de côté l’idée pour Freud, suite à sa mise en place de ce mythe, que pour lui le père symbolique c’est le père mort.

Ce que l’on voit ici, c’est que la sexualité est abordée en termes d’énergie qui si elle est soustraite au plaisir sexuel, à l’orgasme peut être récupéré pour être au service du travail ou du sport, eux-mêmes agent de lutte contre la jouissance sexuelle. Mais en même temps, si cette énergie reste inemployée dans le travail ou dans l’acte sexuel, elle devient, pour certains médecins une source de névrose. Nous trouvons cette idée déjà chez Hippocrate à qui nous devons le terme d’hystérie – maladie de l’utérus.

Il y a certaines pratiques médicales ou thérapeutiques qui consistent d’ailleurs à conseiller à ceux qui souffrent de symptômes dont on ne connaît pas la cause de se libérer sexuellement en rencontrant des partenaires sexuels.

On essaie donc de maîtriser la sexualité

  • Soit en employant son énergie à des fins de travail, de lien social

  • Soit en s’en faisant son allié en prescrivant sa consommation salvatrice

Le problème est qu’aucune réponse n’a jamais apporté la satisfaction escomptée. D’ailleurs que lisent les journaux qui s’occupent de sexualité : cela parle toujours des difficultés de rencontre et des difficultés à jouir.


Cela dit qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans la sexualité humaine.

  • Pour certains hommes, si ça ne va pas c’est surtout à cause des femmes qui se refusent et du coup leur refuse leur plaisir. Sinon à trouver toujours des femmes consentantes à leur donner ce qu’ils attendent

  • Pour certaines femmes, c’est que les hommes ne pensent qu’à ça, ne les comprennent pas, etc...

Alors tout le monde a droit à la jouissance mais il semble bien que jouir ça ne va pas de soi non plus. Or la jouissance comme la sexualité ça ne pose de questions qu’à l’être humain. Un animal, a priori, ne se pose pas la question de « qu’est-ce qu’être une femelle ? » ou « qu’est-ce qu’être un mâle ? » il suit son instinct et c’est tout ! Par un jeu de captation imaginaire, il répond à l’appel de la femelle et la « séduit » en déployant un luxe d’apparat et de démonstration d’attributs en réponse à l’appel de celle-ci.

Chez l’être humain, c’est parfois l’inverse. La femme, par ces artifices de parure fait signe à l’homme, qui lui se pare d’attributs de puissance. Mais chacun au-delà des captations imaginaires se retrouve confronté à une question épineuse de « qu’est-ce qu’être une femme ? » et qu’est-ce qu’être un homme ? Et puis apparaissent des questions que seuls les êtres humains se posent :

  • l’autre m’aime-t-il ?

  • Que deviendrais-je sans lui ?

  • Celui ou celle qui me complétera existe-t-il ou elle ?

Autant de questions « qu’à priori » les animaux ne se posent pas !

Alors peut-on parler d’instinct sexuel chez l’homme ?

L’instinct c’est ce qui détermine une conduite ou un comportement. Les oies grâce à leur instinct gagne l’équateur à l’approche de l’hiver. Elles ont une boussole dans la tête, c’est inné.

Mais l’homme ? Comparé à tous les animaux c’est bien le plus démuni : pas d’instinct, peu d’inné mais par contre beaucoup à apprendre. Même un plan sexuel, on voit que l’instinct fait défaut : qui sait vraiment s’y prendre avec le sexuel ?


Or qu’est ce qui fait la différence entre un animal et l’homme ?

Déjà, on peut dire que sur le plan de l’instinct, de l’inné, l’animal est mieux loti. Mais encore ? Est-ce la communication ? Non, les animaux communiquent entre eux !

Ce qui fait la différence c’est l’ordre symbolique auquel l’homme est soumis. C’est que l’homme parle et que pour parler il faut qu’il s’inscrive dans cet ordre symbolique. Or cet ordre symbolique qui le fait « être parlant » implique que ce sont des mots qui vont représenter des choses, des idées, des désirs. Mais pour que ces mots représentent des choses il faut bien accepter que cette chose dont on parle soit absente de fait. On ne peut représenter que ce qui n’est pas réellement là : le mot n’est pas la chose. L’ordre symbolique n’est pas le réel. Ce qui fait que, même lorsqu’on parle de la réalité, on ne peut qu’être subjectif.


Or nous sommes, nous autres, humains, des êtres de représentations, incapables que nous sommes, parce que parlant, de vivre le réel et donc d’être « naturel ». Le réel comme le propose J. Lacan est un impossible à dire. Or la jouissance, c’est du réel dont je ne peux rien dire. La parole, l’ordre symbolique vont me donner la possibilité de cerner cette jouissance.

L’enfant par exemple, dont l’étymologie du mot infant signifie « celui qui ne parle pas » se trouve être au prise, et avec ce réel, et avec cette jouissance dont il ne peut rien dire, qu’à signifier parfois, à travers des symptômes que l’on peut parfois déchiffrer, que cela ne va pas. S’il y a un traumatisme chez l’enfant, c’est bien cette rencontre avec cette jouissance dont l’enfant ne peut rien dire.


FREUD l’a pressenti quand il disait que ce traumatisme est toujours sexuel.

L’enfant est aussi au prise avec la jouissance de l’autre, quand l’autre, par exemple, à qui il fait appel par ses cris, ne répond à ceux-ci que dans le registre du besoin oubliant que dans le cri, il y a aussi appel, demande d’amour et de reconnaissance adressé à l’autre. D’ailleurs l’enfant, à qui on n’adresse que réponses de nourrissage ou de soins, ne voyant en lui qu’un réceptacle de nourriture gavante, finit par dépérir. Ce que montre l’enfant, c’est que répondre aux besoins vitaux ne suffit pas. Déjà dans le cri, il y a demande d’amour. Désir d’être aimé non pas comme « objet à croquer » pour les parents mais comme sujet séparé de la jouissance dévorante des adultes, différent de cet objet idéal, qui viendrait colmater le manque des parents, leur angoisse. De cet écart entre l’enfant qui comblerait le manque des parents et de cet enfant qui peut se repérer par rapport à leur manque, à leur désir, naît le sujet humain parlant. Car si l’enfant se vit comme indifférencié, comme objet qu’il faut par exemple simplement nourrir, il perd alors sa qualité de sujet et meurt. C’est ce qu’a montrer la malheureuse expérience de l’empereur Frédérique II.


De l’écart entre le besoin et la demande naît le désir- sur fond de manque à la recherche d’un objet aimé et perdu qu’on essaie sans cesse de retrouver. Et c’est bien parce qu’il y a manque que l’enfant peut accéder à la parole.

Si l’autre me comble et si je comble l’autre alors il n’y a rien à dire, rien ne nous sépare et l’un se confond dans l’autre. C’est ce que me disait une mère d’enfant : « même quand il n’est pas près de moi, que je travaille, il occupe toutes mes pensées. »

Cet enfant de trois ans ne parlait pas. Cet enfant avait pour la mère fonction de combler un vide, un manque, sans d’ailleurs qu’envers son mari il ne soit question de désir, au contraire. Cet enfant comblait un trou. Il n’y avait pas de parole qui puisse représenter ce qui faisait manque et désir. Parler c’est au fond assumer la distance entre l’objet censé combler le manque et l’impossible à vivre cette jouissance.

L’être humain, du fait que parler c’est aussi vivre cet écart, est par là divisé

Divisé entre un vouloir conscient et un désir inconscient. L’animal n’est pas divisé, il fait corps avec le monde, il en jouit. L’être humain est de culture, il n’est pas de nature, l’ordre symbolique de la parole est là pour le lui rappeler. Or Corps et Parole sont intimement liés et l’on sait que le corps est impacté par le langage, qu’il est lui-même inscription symbolique du sujet. C’est le cas pour l’hystérique qui se plaint de maux de corps alors qu’il s’agit de mots inscrits dans le corps. Mais le corps de l’hystérique ne concerne pas le corps médical qu’elle dépossède d’un savoir : le médecin non averti ne sait que faire face à ces douleurs qui ne cèdent à aucun traitement.

Et pourtant l’hystérique qui, par exemple se plaint d’une cécité alors qu’un ophtalmolgue ne verra pas de lésions, finira par découvrir en analyse « que de sa sexualité, elle ne veut rien en voir, pas voir çà – cette réalité du sexe, du manque, du désir et de la mort ». FREUD révèlera que le dire du symptôme hystérique sera toujours en lien avec la sexualité.

Le symptôme se révèle là comme un compromis entre les exigences du surmoi et une jouissance inconsciente. Le moi pâtit là où l’inconscient jouit. Le symptôme serait en quelque sorte comme ce qui échappe comme dette à payer au symbolique, l’inconscient s’accroche à la jouissance. C’est que la jouissance trouve ses voies là où on ne l’attend pas : dans les symptômes névrotiques ou dans l’œuvre et l’accomplissement avec d’autres et c’est la sublimation. FREUD démontrera que la champ du psychosexuel n’a rien à voir avec des données biologiques ou avec un instinct sexuel . Les pulsions sexuelles sont l’effet dans le psychisme de la relation à un autre être humain parlant et désirant. De plus, FREUD soupçonne une parenté psychique entre la satisfaction obtenue dans l’acte sexuel et celle obtenue par sublimation des composantes de la pulsion inutilisable par la génitalité et c’est grâce à cette sublimation que sont accompli les activités culturelles.

Pour la psychanalyse, rien ne témoigne au plan psychique, c’est-à-dire dans l’articulation de sexuel et de l’inconscient d’un instinct sexuel ou d’une détermination d’un instinct sexuel qui porterait naturellement vers un partenaire sexuel adéquat. Rien non plus qui amène l’être humain à se définir simplement et naturellement par rapport à son sexe ou à celui de son partenaire.

Le sexuel de FREUD est intrinsèquement lié avec le fait de la parole

C’est ainsi que l’être humain se trouve divisé : il y a le « moi conscient » et « le sujet inconscient ». L’être humain est au prise avec la langue et avec le sexuel. Ce qui fait que jouir pour l’être humain ne va pas de soi. Par le fait même de la parole et de l’ordre symbolique qu’elle instaure, des parties du corps non sexuelles au départ sont investis sexuellement. Ainsi, des symptômes ( des aphonies, des paralysies, des troubles de transit ) vont traduire les désirs inconscients qu’ils réalisent d’une manière détournée.

A travers les symptômes, à travers les échecs de la vie amoureuse et de la sexualité, chaque sujet traduit les impasses ou les satisfactions de son désir inconscient.

C’est dans l’écoute de ce que chacun traduit, à travers la sexualité, de son impossible rencontre avec l’autre, de son dysfonctionnement sexuel – parfois parlé en terme mécanique – que nous pouvons entendre ce qu’il en est pour chacun, de sa difficulté à se situer comme sujet humain, appelé à la parole, appelé à entrer dans un ordre symbolique et à ne pas être comme l’animal dans l’acte pur.

Ainsi pour la psychanalyse l’être humain ne peut se situer qu’à trouver sa place dans un ordre symbolique qui lui préexiste et qui instaure la loi dans la sexualité. Ce qui pose comme corollaire que la manière dont chacun se situe en tant qu’être sexué dépend de son inscription dans l’ordre symbolique.

Il y a pour beaucoup d’êtres humains une difficulté à s’y retrouver dans le discours et à pouvoir lier le sexuel avec le symbolique. Le sujet n’est alors qu’un corps, corps signifiant même, mais pas corps social référé à la parole et à la loi du symbolique. Il est corps joui et jouisseur mais sujet en souffrance « victime » d’une jouissance dérégulée qui l’assaille comme du dehors . L’accès à la parole qui régule la jouissance est lié à l’œdipe par l’entremise de la métaphore paternelle qui donne à chacun accès à sa sexualité.

La question de la sexualité pour l’être humain est une question qui n’a pas de réponse univoque et valable pour tous.

Elle est liée à la manière dont chacun se débrouille avec le fait d’être sujet humain parlant et donc sujet divisé.

Il est parfois plus aisé de parler de handicap là où il y a l’expression d’une impasse ou d’une difficulté à articuler le sexuel, la jouissance avec le symbolique.

Quant aux personnes qui se montrent en souffrance à ce niveau, s’agit-il en premier lieu d’appareiller leur sexualité ou s’agit-il avant tout de les considérer comme sujet en souffrance, d’avoir à traiter avec une jouissance dérégulée et de leur offrir ainsi une écoute qui leur permette d’inventer leur propre solution?

Entendre dans leurs déboires amoureux, relationnels, d’identité sexuelles, les questions qui se posent à eux et qui au fond nous concernent tous : à savoir qu’être un sujet humain, c’est pas si facile, que rien ne nous prédispose au bonheur. Que de se situer comme homme ou femme, que de rencontrer les autres, ça ne va pas de soi et que si ça ne va pas de soi, c’est bien parce que nous sommes des êtres humains.

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