Auteur Thierry Nussberger - Psy Metz
Le 3 aout 1936 à Marienbad un jeune psychiatre de trente-cinq ans nommé Jacques Lacan, participe au 14ème congrès psychanalytique international. Il y expose pour la 2ème fois son texte : "The Looking glass Phase". « Au quatrième top de la dixième minute »[1] de son intervention le président du Congrès, Ernest Jones, l’interrompt.
Lacan quitte le congrès en « omettant » de remettre son texte et se rendra aux onzième Olympiade à Berlin. De fait il n’y a aucune trace écrite de la première communication de Lacan sur le stade du miroir. Seule des notes prises par Françoise Dolto le 16 juin 1936, lorsque Lacan présenta pour la première fois son texte à la société psychanalytique de Paris, subsisteraient.
Aux Olympiades il assiste au défilé de jeunes éphèbes glorifiant le régime Nazi par le culte de l’ordre, de la beauté et du sport.
Il sera ainsi le témoin privilégié de ce qu’il met en évidence de l’origine du racisme dans son texte sur le stade du miroir. C’est à dire la fascination primordiale de chacun pour son semblable dans une vision captatrice et triomphante de la gestalt du corps de l’autre. Image de l’autre soudainement adorée de par sa perfection et l’envie, ou plutôt l’Invidia jalouse de lui ressembler. Instauration d’un idéal narcissique persécuteur, fondement même de ce que Freud désignait comme « choix narcissique d’objet »[2]
Dans « Propos sur la causalité psychique » prononcé aux journées psychiatriques à Bonneval en septembre 1946 Lacan révèlera que le contenu principal du texte initial se trouve dans une partie d’un article commandé à Lacan par Henri WALLON pour L’encyclopédie Française et paru en 1938. Il s’agit du texte sur « Les complexes familiaux dans la formation de l’individu » et plus précisément du paragraphe 2 intitulé « le complexe d’intrusion »[3]. Dans ces propos il rappelle que sa construction du stade du miroir, qu’il préfère appeler « phase » répond à la question de la conception d’une genèse psychologique.
Il y explique que c’est « en fonction du retard de développement du petit d’homme que la maturation précoce de la perception visuelle prend sa valeur d’anticipation fonctionnelle. Il y a une prévalence marquée de la structure visuelle dans la reconnaissance précoce de la forme humaine. L’identification à cette forme va constituer dans l’homme un nœud imaginaire que la psychanalyse a désigné sous le nom de narcissisme »[4]
Puis LACAN avance que « c’est dans ce nœud que gît le rapport de l’image à la tendance suicide que le mythe de narcisse exprime. »[5]
En 1949 Lacan propose au 16ème congrès de psychanalyse à Zurich une communication intitulée « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du je telle qu’elle nous est révélée dans l’expérience psychanalytique ».
Dans ce texte Lacan reprend ce qu’il a développé dans son texte inaugural de 1936 en précisant que ce dernier n’a pas démérité.
Mais que dit ce texte perdu de 1936 ? Nous allons donc, selon les indications de Lacan, le découvrir dans le paragraphe intitulé « Le complexe de l’intrusion ». Ce dernier représente l’expérience de voir son semblable participer avec lui à la relation domestique et d’en vivre ses effets. Les conditions sont variables selon les cultures et la place que le sort donne à chacun dans l’ordre des naissances.
"Les clés du narcissisme - psy à Metz"
QUELS SONT DONC SES EFFETS ?
Lacan repère principalement la jalousie qui aura un rôle important dans la genèse de la sociabilité et de la connaissance humaine. Elle représente non pas une rivalité vitale mais une identification mentale. Entre six mois et deux ans s’ébauchent la reconnaissance d’un rival, donc d’un autre comme objet. A l’observation le rapport se révèle, non pas comme un conflit entre deux individus mais comme un conflit entre deux attitudes opposées et complémentaires. Lacan parle alors de la structure que forme cette participation bipolaire et propose qu’on s’arrête sur l’enfant qui se donne en spectacle et sur celui qui regarde. Il se passe que chaque partenaire confond la patrie de l’autre avec la sienne propre et s’identifie à lui. Ainsi l’identification, spécifique des conduites sociales à ce stade, se fonde sur un sentiment de l’autre à valeur imaginaire.
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QUELLE EST LA STRUCTURE DE CET IMAGO POUR LACAN?
L’imago de l’autre est lié à la structure du corps propre et de ses fonctions de relation par une similitude objectale. Le frère est l’objet électif des exigences de la libido – homosexuelle à cet âge – qui d’une manière confuse associe deux relations affectives : amour et identification. Cette ambiguïté se retrouve dans la jalousie amoureuse où l’intérêt que porte le sujet à l’image du rival, bien qu’il s’affirme comme haine, est à interpréter comme intérêt essentiel et positif de la passion. Chez le psychotique quand cet intérêt est nié il crée l’agressivité maximum.
Dans cette situation fraternelle primitive l’agressivité s’y démontre secondaire à l’identification, elle ne peut donc pas être relié à l’idée darwinienne de lutte pour la survie. Lacan démontrera au contraire que le nourrissage neutralise temporairement les conditions de lutte pour la nourriture.
La jalousie en effet se manifeste lorsque le sujet est sevré depuis longtemps et qu’il n’est pas en concurrence vitale avec le frère. Lacan s’appuiera sur l’exemple de jalousie infantile donné par St Augustin : « J’ai vu de mes yeux dit Saint Augustin et bien observé un tout petit en proie à la jalousie il ne parlait pas encore et il ne pouvait sans pâlir arrêter son regard au spectacle amer de son frère de lait (confession 1 – chap. 7).
« Dans le masochisme primaire on reconnaît le moment dialectique ou le sujet assume par ces premiers actes de jeu la reproduction de ce malaise, le sublime et le surmonte ». Lacan fait référence au jeu de la bobine évoquée par Freud. Cette joie de la première enfance de rejeter un objet du champ de son regard puis l’objet retrouvé d’en renouveler l’exclusion signifie bien que c’est le pathétique du sevrage que le sujet s’inflige à nouveau tel qu’il l’a subi mais dont il triomphe maintenant qu’il est actif dans sa reproduction.
L’image du frère non sevré n’attire une agression spéciale que parce qu’elle répète dans le sujet l’imago de la situation maternelle et avec elle le désir de mort.
LE STADE DU MIROIR TRADUIT UNE DOUBLE RUPTURE VITALE :
Celle de l’immédiateté adaptative au milieu qui définit le monde animal par sa connaturalité. Rupture de cette unité de fonctionnement du vivant qui asservit chez l’animal la perception à la pulsion.
Cette discordance, pulsion et fonction, qui en résulte fait suite à l’incoordination prolongée des appareils qui implique une proprioceptivité et qui donne le corps comme morcelé tel qu’il peut être illustré dans l’œuvre de Jérôme BOSCH.
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La phase jubilatoire de l’enfant dans le miroir anticipe la forme globale et la restauration d’une unité perdue. Le moi se constitue donc de cette illusion en reconnaissant dans l’autre son image comme totalité alors qu’il est encore aux prises avec une incoordination motrice. La constitution du moi n’est donc pas l’effet d’une psychodynamique, d’une maturation pulsionnelle telle que les stades de développement le laisse supposer, mais d’un temps logique. Celle d’une captation par l’image, moment princeps de la dialectique des identifications et la perception de la gestalt du corps. Ce que Lacan soulignera c’est que cette jubilation de l’enfant devant le miroir à y trouver une forme unifié est attesté par l’autre présent qui confirme l’identité de cette forme spéculaire au moi ainsi constitué de l’enfant. « Je » est un autre disait le poète ! c’est bien aussi le drame de la constitution du moi où c’est dans l’autre de l’image que je m’y reconnais grâce à une forme totale anticipatrice. Lacan reconnaitra dans cette constitution du moi la forme primaire de la paranoïa : l’autre c’est moi, ce qui fera dire au paranoïaque « je suis Napoléon » ou qui attribuera par phénomène projectif sa propre pensée à l’autre : « mon voisin m’insulte » ! Lacan inverse donc la proposition Freudienne d’un moi initialement fermé sur lui-même ( narcissisme primaire) qui s’ouvre peu à peu à la réalité du monde extérieur pour sortir du narcissisme. Lacan au contraire situe le narcissisme primaire de l’enfant comme étant tout au dehors, hors de lui. Ce n’est pas à son moi proprioceptif que l’enfant applique son nom mais à l’image extéroceptive que lui offre le miroir. La reconnaissance dans le miroir est donc liée à une représentation d’un corps unifié externe, nommément le sien, distincte de ses sensations motrices internes.
Cette configuration particulière qui dans une nomination fait équivaloir l’image extérieure au moi de l’enfant, le sort paradoxalement de l’aliénation « confusionnante » de « l’autre c’est moi » par une aliénation au miroir où l’image est constitutive de l’unité du sujet.
Ce qui fera dire à Lacan dans le texte de 1949 « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du je » :
- « L’humain se constitue dans un rapport inversé à son image et s’appuie sur un mythe, celui d’un corps unifié. Le sujet, pris au leurre de l’identification spatiale, machine les fantasmes qui se succèdent d’une image morcelée du corps à une forme que nous appellerons orthopédique de sa totalité, – à l’armure enfin assumée d’une identité aliénante, qui va marquer de sa structure rigide tout son développement mental. L’identification primordiale à la forme visuelle de son propre corps reste à désigner comme un « Je idéal », qui sera « la souche de toutes les identifications secondaires ».
Cette forme spéculaire dans laquelle l’enfant se reconnaît reste un mirage de maturation, une configuration fictive. Il se reconnait dans un relief de stature qui le fige alors qu’il est en mouvement, sous une symétrie inverse, unifiée alors qu’il est mu par des pulsions désintriquées. Il triomphe de s’anticiper puissant alors qu’il est encore en détresse et dépendant de l’autre.
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Le stade du miroir préfigure la constitution du schéma L.
Les catégories du petit autre et du grand Autre n’y sont certes pas encore formalisées mais elles s’en déduisent de par la démonstration que fait Lacan. Il faudra donc attendre le séminaire du 26 avril 1955 pour que Lacan expose le Schéma L. Ce schéma L est particulier dans sa forme puisqu’il ressemble plus à un Z qu’à un L et ne se comprend bien qu’en l’abordant sous la forme d’un X. L’appellation L se réfèrerait selon certains à Claude Lévi-Strauss qui aurait publié en 1952 un schéma semblable que Lacan aurait emprunté.
Mais en fait le schéma L se déduit en premier lieu du schéma du bouquet renversé dans le schéma optique. Le schéma optique s’appuie sur le schéma de Bouasse[6], avec une inversion vase/ bouquet. Lacan se servira du vase pour métaphoriser la constitution du dedans et du dehors. Le vase est cette première forme grâce à laquelle le sujet distingue ce qui est du moi et ce qui ne l’est pas.
Dans « les écrits techniques de Freud 1953 – 1954 / leçon du 24 février 1954 » - Lacan nous donne la clé de la compréhension du schéma optique :
« Qu’est-ce que ça veut dire ? dit Lacan. Vous me direz, nous ne sommes pas un œil. Et qu’est-ce que c’est que cet œil qui se balade, là ? Et si tout cela veut dire quelque chose ? Ceci, la boîte, veut dire votre propre corps. Et ici, le bouquet, instincts et désirs, ou les objets du désir qui se promènent. Et ça le chaudron, qu’est-ce que c’est ? Cela pourrait bien être le cortex. Pourquoi pas ? Et si c’était le cortex ? Ce serait amusant. Nous en parlerons un autre jour. Au milieu de ça, votre œil, il ne se promène pas, il est fixé, là, il est une espèce de petit appendice titilleur de notre cortex, justement ! Alors, pourquoi nous raconter que cet œil est en train de se promener, tantôt ça marche, tantôt ça ne marche pas ? Évidemment ! L’œil est, comme très fréquemment, le symbole du sujet, et toute la science repose sur ce qu’on réduit le sujet à un œil. Et c’est pour cela que toute la science est comme cela projetée devant vous, c’est-à-dire objectivée. Je vous expliquerai ça. »
Le 24 mars 1954 Lacan propose le schéma optique aux deux miroirs » il s’agit de la relation entre la constitution de la réalité et le rapport avec la forme du corps. Lacan suite à une question d’Octave Mannoni confirme l’existence de deux narcissismes.
1/ Le narcissisme primaire qui se rapporte à l’image corporelle comme Umwelt [7], forme originelle du moi. 2/ Le narcissisme secondaire qui se rapporte à l’image spéculaire où l’autre, l’alter ego, a valeur captivante et se confond avec l’Idéal du moi (Ich-Idéal )
L’identification narcissique du second narcissisme est l’identification à l’autre qui permet à l’homme de situer son rapport imaginaire et libidinal au monde. Il y voit sa place et structure alors son être. Le sujet voit son être dans une réflexion par rapport à l’autre, à l’Ich-Ideal.
Donc il faut distinguer entre les fonctions du moi qui jouent un rôle fondamental dans la structuration de la réalité (y compris pour les animaux) et cette aliénation fondamentale chez l’homme que constitue l’image réfléchie de soi-même, l’Ur -Ich qui est la forme originelle de l’Ich-Ideal (idéal du moi ).[8]
- L’Ideal du moi ( Ich-idéal), c’est l’idée que j’ai de moi, c’est à l’intérieur !
- Le moi idéal ( ideal-ich) c’est à l’extérieur.
L’Ich-Idéal nous dit Lacan, c’est l’autre en tant que parlant, l’autre en tant qu’il a avec moi une relation symbolique. L’échange symbolique est-ce qui lie entre eux les êtres humains, soit la parole et qui permet d’identifier le sujet.
L’Ich Ideal en tant que parlant peut venir se situer dans le monde des objets au niveau de l’Ideal-Ich (moi-Ideal), soit au niveau où peut se produire la captation narcissique dont Freud ne cesse de parler, confusion ou il n’y a plus de régulation possible de l’appareil, c’est-à-dire quand on est fou-amoureux. Et dans l’amour c’est son propre moi qu’on aime, réalisé au niveau imaginaire.
IL EST TEMPS POUR NOUS MAINTENANT DE PASSER AU SCHEMA L
C’est Le 25 mai 1955[9] que Lacan introduit le schéma L et le concept de grand Autre.
Celui-ci est l’Autre du langage, l’Autre comme lieu de la parole (la différence langage/parole n’étant pas encore formalisée) et non différencié de l’Autre sujet comme tel inaccessible à cause du mur du langage. Lacan introduit ce grand Autre sans pourtant faire référence à ce que notait Wallon de l’enfant qui sourit à son image et à celle de son père qu’il aperçoit dans le miroir. Il se retourne surpris quand il entend parler derrière son dos. Ce n’est que dans le séminaire sur l’angoisse que Lacan fera référence « à la nutation de la tête qui correspond à la description de Wallon. « Ce moment dit jubilatoire où l’enfant (…) venant se saisir dans l’expérience inaugurale de la reconnaissance dans le miroir, s’assume comme totalité fonctionnant comme telle dans son image spéculaire (...) par ce mouvement de nutation de la tête qui se retourne vers l’adulte comme pour en appeler à son assentiment, puis revient vers l’image, il semble demander à celui qui le porte, et qui représente ici le grand Autre, d’entériner la valeur de cette image » [10]. Cette « nutation », qui correspond à une vraie « mutation » subjective, l’enfant se distancie de l’image spéculaire et en se retournant fait entrer la dimension symbolique par l’entremise de la parole du père prononcé en arrière de l’enfant.
Ce grand Autre se différencie donc des petits autres et se place dans le registre du symbolique surtout que dans les simples relations de l’adulte tutélaire à l’enfant c’est lui qui donnera sens au manifestation corporelle par l’interprétation qu’il en donnera. C’est donc par le sens qu’il donne à ces manifestations de l’enfant que l’adulte fait fonction de Grand Autre pour l’enfant.
Es /S représente la partie pulsionnelle et inconsciente, ce qui fait référence au ça (das Es) de Freud. Or selon la formule de Freud là où il y a le ça le Je, ici représenté par le S doit advenir « wo es war soll ich werden ».
a’ c’est l’autre, la mère le père et tous les semblables, et le a c’est le moi. Au tout début le S c’est l’enfant quand il se regarde au miroir il voit en a’ son image qu’il reconnait comme un autre puis il reconnait son image comme la sienne en a , support du moi, grâce à l’intervention de l’Autre, le parent au départ qui par sa parole de reconnaissance fait fonction de Grand A. Ce sont les deux flèches qui partent du A - 1/vers le a et 2/vers le S (quand la mère dit à l’enfant « c’est toi ».) Dans ce schéma on repère la phase du miroir mais aussi ce qu’introduit Lacan de la dimension de la parole.
a et a' sont du domaine de l'Imaginaire, a anticipe dans a’ sa forme future, sa gestalt. Il se confond en a’ au point de dire « moi/mon papa, moi /ma maman. Dans ce rapport au miroir c’est de la parole extraite du trésor des signifiant contenu dans le grand Autre que l’enfant sera délivré de cette confusion imaginaire. L’axe symbolique le traversant par une parole qui va donner sa place et son identité à l’enfant « tu es cela – ton image dans le miroir c’est toi jean » « je suis ta mère ou je suis ton père » prononcé situera l’enfant à sa place. Il pourra y recevoir le message inversé qui sera « je suis ton fils ». Ainsi l’axe symbolique traverse l’axe imaginaire, rompant le lien confus du semblable pour ordonner les places de chacun et structure l’enfant grâce à la loi de la parole qui inter-dit cette relation amoureuse narcissique pour donner à l’enfant place à son désir par le manque ainsi introduit.
En décembre 1957 Lacan reprendra dans le texte « Du traitement possible de la psychose » le schéma L - simplifié, celui qui ressemble à un Z et inversera la place d’a - a’ sur le schéma.
Ce schéma signifiant « que la condition du sujet S (névrose ou psychose) dépend de ce qui se déroule en l’Autre A. Ce qui s’y déroule est articulé comme un discours (l’inconscient est le discours de l’Autre). A ce discours le sujet y est intéressé aux 4 coins du schéma : à savoir son ineffable et stupide existence, a ses objets, a’ son moi, à savoir ce qui se reflète de sa forme dans ses objets. Et A le lieu d’où peut se poser la question de son existence »
POUR CONCLURE SUR CE QUE NOUS ENSEIGNE LA PHASE DU MIROIR ET LE SCHEMA L - "Les clés du narcissisme psy à Metz"
Dans la phase du miroir nous avons vu se dessiner 3 étapes : 1 / L’enfant qui réagit comme si l’image présentée par le miroir était un autre
2 / L’enfant qui cesse de traiter cette image comme objet réel, il ne cherche pas à s’emparer de l’autre
3 / L’enfant reconnait cet autre comme étant sa propre image.
Nous assistons là à une conquête progressive de l’identité du sujet constitué d’un hiatus entre l’image externe dans laquelle il se reconnait et les sensations proprioceptives internes.
C’est donc en s’identifiant à un double de lui, cette image que l’enfant peut se reconnaitre. C’est dans cette période que l’enfant en présence des petits autres ses semblables rejoue le drame de cette aliénation/reconnaissance.
Les parents ou éducateurs observent bien ce moment où l’enfant agresse ou imite son semblable. Où c’est lui qui bat mais dit qu’il a été battu, qui pleure quand c’est un autre qui tombe. Nous retrouvons tous d’ailleurs cette faculté à nous identifier et à nous aliéner en l’autre quand nous allons au cinéma. N’est-ce pas nous qui pleurons à la place du héros ou de l’héroïne quand celle-ci ou celui-ci souffre de la perte de l’être aimé ? Sans cette possible identification à l’autre le cinéma perdrait beaucoup de son aura.
DONC NOUS AVONS LE PREMIER DRAME DE LA CONSTITUTION DU JE :
1/ Le stade du miroir constitue effectivement l’avènement d’une unité mais il détermine aussi un assujettissement de l’enfant à son image, à son semblable mais aussi au désir de l’autre. C’est le premier temps logique d’indistinction enfant/mère. Temps aussi où l’enfant s’identifie au désir de la mère. Il est alors le tout de sa mère, celui qui comble son manque. Il se constitue alors comme le phallus de la mère
2/ le Schéma L fait intervenir l’Autre, second temps logique, qui traverse la relation imaginaire. Par la nomination « tu es ceci » le meurtre du double s’opère (tuer ceci), l’enfant est distingué, séparé de l’image du double. Ce n’est plus « moi, ma maman ». C’est le temps de l’enfant qui joue à la bobine et s’aperçoit que la mère s’en va. Ce qu’il interprètera comme un « elle désire ailleurs » et si elle désire ailleurs l’enfant chute de sa position privilégiée d’être le tout de sa mère, son phallus. Ceci constitue un message qui lui est adressé en termes d’un dire qui sépare. Un interdit (entre l’enfant et sa mère) qui le prive de la couche de la mère. Cette fonction de séparateur sera attribuée, s’il est là, au père. Ce que la mère désire pour régler son manque c’est son conjoint et non l’enfant.
L’enfant dans ce second temps rencontre ce qu’on appelle la loi du père comme fonction paternelle séparatrice de la confusion aliénante. Ainsi se constitue le troisième temps logique mis en évidence par le schéma L. C’est ce temps que Lacan fera correspondre à l’identification au père de la loi qui est différente de l’identification primaire au père protecteur et tout puissant (Freud ). Le père de ce temps-là donne sa place à l’enfant dans la hiérarchie familiale. C’est le père en tant que fonction paternelle qui peut être supporté dans la réalité par quiconque occupe cette place : le conjoint homo ou hétéro sexuelle de la mère, l’éducateur etc. …mais aussi ce qui chez la mère fait fonction de loi. L’enfant dans ce troisième temps entre dans l’ordre symbolique du langage. Le père ici n’est donc pas celui de la relation, ni le père géniteur mais celui de la parole et de la loi de la parole.
C'est donc dans le Nom-du- Père que nous aurons à entrevoir le support de la fonction symbolique et qui nous amènera dans notre prochaine intervention à nous intéresser à la question de la « métaphore paternelle ». "Les clés du narcissisme psy à Metz"
[1] Ce sera la manière dont Lacan retracera avec humour cet épisode in J. Lacan, "Propos sur la causalité psychique", Écrits, Seuil, Paris, 1966, p.184. [2] Cf à ce sujet le texte de Thierry Nussberger « Le narcissisme dans l’œuvre freudienne » présenté le samedi 22 mai 2022 au Séminaire Pratique sur l’entretien en psychothérapie et psychanalyse » [3] « Autres écrits » Jacques Lacan – éd du Seuil – p36 à 45 [4] Jacques Lacan - « Propos sur la causalité psychique » (1946), Écrits, Seuil, 1966. Troisième partie : Les effets psychiques du mode imaginaire, p.-181. [5] idem [6] Henri Bouasse (1866-1953) est un physicien français du XXe siècle. Il est principalement connu pour la rédaction d’un vaste traité de physique en 45 volumes. Lors du séminaire I, Lacan reprend le stade du miroir à travers un dispositif optique : le schéma optique. Ce dispositif renvoie à une expérience de physique amusante décrite par H. Bouasse dans son ouvrage « Optique et photométrie dites géométriques ». [7] Initialement utilisé pour rendre compte du caractère constitué des stimuli environnementaux auxquels un animal réagit. « J’ai tenté d’introduire le mot d’Umwelt pour désigner ce monde qui est le produit de l’organisme. Le mot a acquis droit de cité – mais pas le concept. On emploie maintenant le mot d’Umwelt pour désigner l’environnement (Umgebung) spécifique d’un être vivant au même sens qu’on employait autrefois le mot de Milieu. Ainsi son sens propre a-t-il été perdu. » (Uexküll, 1912 : 352 et Feuerhahn, 2009 : 428) [8] Pour Freud, le domaine du moi primitif (Ur-Ich, Lust-Ich) se constitue par clivage, par distinction d’un contenu et d’un contenant (cf. Die Verneinung, 1925). [9] Jacques Lacan – séminaire II – le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse [10] Lacan, J., Le Séminaire, Livre X, L’angoisse, Paris, Seuil, 2004, p. 42
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